logo

Quand la Birmanie reçoit les encouragements de Washington

La secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, est en Birmanie pour une visite historique dans un pays du pré-carré chinois autrefois honni. Objectif : convier le gouvernement civil à poursuivre les réformes mises en œuvre depuis un an.

En recevant pour la première fois depuis 1955 un chef de la diplomatie américaine à Rangoon, la Birmanie espère mettre un terme à des années d’ostracisme international. La secrétaire d’État, Hillary Clinton, rencontre cette semaine le nouveau dirigeant “civil” birman, le président Thein Sein, pour constater de ses propres yeux la réalité des réformes démocratiques mises en œuvre depuis le début de l’année. La chef de la diplomatie doit également rencontrer par deux fois la Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi.

"Je suis ici parce que le président [Barack] Obama et moi sommes encouragés par les mesures que vous et votre gouvernement avez prises pour votre peuple", a déclaré Mme Clinton lors d'une rencontre avec le chef de l'État birman dans la capitale Naypyidaw. "Votre visite est la première en cinq décennies. Elle est historique et marque un nouveau chapitre dans les relations", a répliqué Thein Sein, ancien général et ancien Premier ministre de la junte, qui tente de faire souffler un vent de réforme sur le pays depuis son arrivée au pouvoir à l’issue d’élections en novembre 2010.

Hillary Clinton devrait entreprendre les responsables birmans sur la question des conflits ethniques régionaux qui empoisonnent la vie politique birmane depuis l’indépendance du pays en 1948 et ont servi de prétexte à une dictature militaire. Toutefois, la délégation américaine reste précautionneuse vis-à-vis de ce pays vassal de la Chine. Pour l'heure, le président américain s'est limité à parler de "lueurs de progrès" au sujet des réformes.

Washington garde en mémoire les déceptions passées - notamment la libération d’Aung San Suu Kyi en 2002 qui n’a duré qu’un an -, et ne devrait pas mettre tout de suite fin aux sanctions économiques imposées depuis dix ans au pays.

Des signes séduisants de réforme

Au lendemain de son indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni, la Birmanie faisait figure de modèle en Asie du Sud-Est : son fort taux d’alphabétisation, son système de santé et ses riches ressources naturelles suscitaient alors l’admiration. Mais après cinq décennies du règne répressif et paranoïaque de la junte militaire, le pays se retrouve parmi les plus pauvres de la région.

Mais, depuis un an, les signes d’ouverture de la part du gouvernement birman ont créé la surprise et suscité un nouvel espoir pour le pays.

Après avoir officiellement mis fin à la junte militaire et annoncé le début d’un pouvoir civil, le gouvernement de Thein Sein et le Parlement nouvellement élu ont rendu légal l’existence de syndicats et le droit de grève, allégé la censure sur Internet et libéré une partie des 2 000 prisonniers politiques. En octobre, la décision de suspendre le projet de barrage financé par la Chine sur le fleuve Irrawaddy a été chaleureusement accueillie par la population.

Dans la foulée, le président birman a remporté un succès diplomatique en rencontrant l'emblématique leader de l’opposition Aung San Suu Kyi et en l'encourageant à prendre part aux prochaines élections partielles. La dernière fois que son parti, le National League for Democracy (NLD), a participé à un scrutin, c’était en 1998. Sa victoire n’avait toutefois pas été reconnue par la junte et les dirigeants du parti avaient été jetés en prison.

“C’est une risque à prendre”

Cette fois, le retour sur la scène politique d’Aung San Suu Kyi est interprété comme une véritable volonté de réformes de la part du gouvernement. À Rangoon, la principale ville du pays et ancienne capitale politique, les magasins affichent des posters de la Prix Nobel de la paix, aux côtés de portraits de son père, le général Aung San, héros de l’indépendance. Les photos de la "Dame de Rangoon", dont le nom était imprononçable dans un lieu public il y a encore un an, sont devenues omniprésentes dans la presse locale.

“Les Birmans avaient peur de parler de politique, auparavant. Maintenant, tout le monde affiche fièrement le portrait d’Aung San Suu Kyi", explique Ko Myo Naung Thein, dirigeant du Réseau démocratie Birmanie, une association proche du NLD.

Ko Myo Naung Thein a passé neuf années en prison, en raison de son militantisme politique. Il fait partie du nombre croissant de Birmans qui veulent accorder une chance au nouveau gouvernement et se disent "optimistes" pour les réformes à venir. "Bien sûr que nous prenons des risques en prenant contact avec les actuels dirigeants, mais cela vaut la peine d’essayer", dit-il à FRANCE 24. Au début de l’année, il a créé l’Institut Bayda, un établissement qui vise à éveiller les jeunes Birmans à la conscience politique. "Si j’avais essayé d’ouvrir cet institut il y a deux ans, j’aurais eu toutes les chances de finir derrière les barreaux."

Un défi à la Chine

La libération d’Aung San Suu Kyi a largement contribué à réchauffer les relations entre la communauté internationale et le régime birman. Des membres de la délégation américaine ont reconnu avoir consulté la "Dame de Rangoon" avant d’engager la visite de la secrétaire d’État américaine cette semaine.

Le séjour de Hillary Clinton coïncide avec la volonté de Barack Obama de faire "pivoter" sa politique étrangère en direction de l’Asie et, surtout, de se rapprocher des pays qui forment la chasse gardée de la Chine. Les autorités chinoises, qui étaient les alliés historiques de la junte birmane, ont réagi avec détachement à l’initiative américaine. "La Chine n’oppose aucune résistance à ce que la Birmanie améliore ses relations avec l’Occident, mais n’acceptera pas que ses intérêts soient foulés au pied", a affirmé Global Times Daily, le quotidien national chinois.

Signe que le nouveau gouvernement civil a des velléités d'indépendance vis-à-vis de son protecteur chinois : sa décision de stopper les travaux du barrage de Myitsone, sur le fleuve Irrawaddy, travaux sponsorisés par la Chine. Cette nouvelle donne diplomatique est encouragée par l’opposition birmane, qui est soulagée de voir le pays prendre ses distances avec Pékin.

“La Chine contrôle notre économie et notre vie politique. Notre gouvernement commence à se rendre compte qu’il est dans son intérêt de trouver d’autres amis dans le monde", estime Ko Myo Naung Thein. Ce proche d’Aung San Suu Kyi rencontrera Hillary Clinton vendredi 2 décembre. Faute de pouvoir assurer à la secrétaire d’État américaine que la Birmanie se trouve aux portes de la démocratie, il encouragera la chef de la diplomatie à poursuivre les négociations.