
Paris voit dans la Banque centrale européenne le dernier rempart contre la propagation de la crise de la dette et demande qu’elle joue un rôle plus actif. Mais Berlin s'y oppose.
C’est la nouvelle bataille franco-allemande. Elle concerne le rôle de la Banque centrale européenne (BCE). Le président français, Nicolas Sarkozy, souhaite qu’elle joue un rôle plus actif en rachetant davantage de dettes des pays de la zone euro afin de faire baisser les taux d’intérêt. La chancelière allemande, Angela Merkel, refuse et a encore rappelé mercredi que le rôle de la BCE était “uniquement d’assurer la stabilité de l’euro (éviter une trop grande inflation, NDLR)” en jouant sur les taux directeurs.
Ce désaccord entre les deux locomotives de la zone euro inquiète les marchés financiers européens qui ont tous ouvert à la baisse mercredi. Les bourses sont d’autant plus mécontentes de ce nouveau blocage politique dans la zone euro que Berlin et Paris semblent camper sur leurs positions. Tout au plus le ministre français du Budget, François Baroin, a reconnu mercredi que les “traités européens ne permettent pas” à la BCE de jouer le rôle de prêteur de dernier ressort que Paris appelle de ces voeux. Mais pourquoi la place de la Banque centrale européenne dans le dispositif anti-crise a-t-elle pris une telle importance ces derniers jours ?
Le rêve d’une Banque centrale à l’américaine pour la France :
Depuis mi-octobre, Nicolas Sarkozy pousse au niveau européen pour que la BCE agisse comme le bras armé des politiques de soutien aux pays européens les plus endettés. “La meilleure réponse pour éviter la contagion à des pays comme l'Espagne ou l'Italie c'est, pour les Français, une intervention [...] d'un prêteur en dernier ressort qui serait constitué par la Banque centrale européenne”, a résumé François Baroin lors d’une conférence de presse mercredi.
Paris, qui a le soutien de la Commission européenne dans cette bataille, désire en fait une sorte de “Fed” à la sauce européenne. La Réserve fédérale, la banque centrale américaine, ne se gêne pas pour racheter massivement de la dette américaine, et donc doper la demande en bons du Trésor, afin que l’État fédéral ne paye pas des taux d’intérêt trop élevés sur sa dette. “Lors de la dégradation de la note américaine en août, les marchés n'ont pas réagi car ils savaient que la Fed pouvait intervenir pour soutenir l'économie américaine”, explique à FRANCE 24, Christophe Blot, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Une dégradation de la note sans impact sur les marchés financiers ? La France, qui se bat actuellement pour maintenir son triple A, doit en rêver. “Nous considérons qu'une banque centrale a comme responsabilité de soutenir l'activité économique de la zone dont elle a la charge”, a ainsi assuré François Baroin. Une déclaration qui renvoie à peu de chose près à la définition de la mission de la Fed dont l’un des rôles est de “soutenir l’activité pour assurer le plein emploi”.
Dans son offensive, la France peut, en outre, s’appuyer sur les actes de la BCE elle-même. Depuis fin juillet, elle a acheté pour plus de 100 milliards d’euros de dettes, principalement espagnole et italienne. "Mais elle a bien précisé qu'il s'agissait d'interventions limitées et temporaires", nuance Christophe Blot.
La volonté d’une BCE indépendante pour l'Allemagne :
À l’heure actuelle, l’Allemagne s'en réfère aux traités fondateurs de l'Union monétaire. Sa chancelière, Angela Merkel, n’en finit pas d’invoquer le traité de Maastricht pour opposer une fin de non-recevoir à toute demande d’extension des compétences de la BCE. “L’Europe n’a pas le droit de changer quoi que ce soit au mandat unique de la banque centrale” qui est de lutter contre l’inflation.
Derrière cette apparente rigidité, Angela Merkel tente, en fait, de préserver l’indépendance de la BCE. “Il est très important pour l’Europe de s’appuyer sur des institutions indépendantes”, a expliqué la chancelière allemande. “Si elle acceptait de racheter indéfiniment la dette des États, elle jouerait un rôle actif dans la définition des politiques fiscales de la zone euro", explique Christophe Blot. Ce qui reviendrait à déléguer à une institution sans socle démocratique un pouvoir politique. Un choix que l’Allemagne s’est toujours refusé de faire, même à l’époque de la Bundesbank triomphante avant l’instauration de la monnaie unique.
Pour Angela Merkel, l’opposition à la proposition française est également une question de politique intérieure. “Il y a en Allemagne un groupe de parlementaires et de figures politiques de second rang qui joue sur l’image d’épinal d’une banque centrale qui doit se concentrer sur sa seule mission de stabilité de la monnaie”, résume au quotidien économique Les Echos, Thomas Klau, économiste au Conseil européen des relations internationales. Des députés qui craignent qu’à force de racheter la dette d’autres pays, la BCE finisse pas présenter une addition salée à tous les États de la zone euro et plus spécifiquement à l’Allemagne.