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Un Centre national de la musique, dernière marotte culturelle du président Sarkozy

Le président français Nicolas Sarkozy veut créer un navire pour sauver l’industrie musicale de la noyade : un Centre national de la Musique. Mais ce mastodonte ne risque-t-il pas de laisser certains petits acteurs à l’eau ?

Crédit Photo : Daquella Manera sur Flickr, en creative commons

Le président français Nicolas Sarkozy tient peut-être une occasion de léguer à la postérité une structure culturelle avant la fin de son mandat. La semaine dernière, lors du Forum d’Avignon sur la culture à l’ère du numérique, Nicolas Sarkozy a en effet annoncé  la création d’un Centre national de la musique (CNM), se disant "très inquiet" pour l’industrie française du disque. À défaut de projets grandioses comme la Philharmonie de Paris, qui peine à sortir de terre dans le carré de la Villette, ou comme le Musée de l’Histoire de France, encore dans les cartons car très controversé, le chef de l’Etat semble tenir un projet qui aura au moins l’heur de plaire à certains acteurs de l’industrie discographique et d’être rapidement réalisable.

Le CNM pourrait voir le jour dans les plus brefs délais, si l’on en croit l’urgence avec laquelle sa création est défendue aussi bien par le président de la République que par son ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Dans une interview accordée au quotidien Le Monde, début novembre, ce dernier indiquait que le CNM serait mis en place en mars prochain.

La musique devenue un enjeu politique

Défendre la propriété intellectuelle, encadrer le streaming et créer "un instrument fort de défense des intérêts communs de la filière [musicale] aux plans national, européen et mondial" : telles seront les missions du CNM. En clair : permettre au politique d'encadrer une industrie musicale à gros enjeux.

"Pour le gouvernement, c’est motivant de légiférer sur cette filière. Avec le projet d’absorption d’une partie du label britannique EMI par le Français Universal, le poids capitalistique de l’industrie française du disque est en passe de devenir majoritaire dans le monde", rappelle Patrick Frémeaux, directeur général du label Frémeaux et associés, spécialisé dans le patrimoine sonore. "Or la reprise en main étatique de la filière musicale pourrait se révéler spectaculaire. La création du CNM pourrait avoir une importance historique."

Officiellement, le CNM est destiné à répondre aux plaintes répétées de l’industrie musicale qui souffre de tous les maux : les ventes de musique enregistrées ont été divisées par deux entre 2002 et 2010, et les aides publiques à la filière sont dérisoires en comparaison d’autres industries culturelles comme le cinéma ou l’édition (le premier bénéficie des subsides publics du Centre national de la cinématographie, le second de la loi sur le prix unique du livre). Dans le système actuel, les aides à la création musicale s'organisent autour de différentes sociétés de perception et de redistribution interne des droits, du type de la Sacem. Le CNM viendrait donc proposer un guichet unique et des assiettes de subventions élargies.

Cette ambition passe par la mise en place d’un budget conséquent pour le CNM, estimé à 145 millions d’euros. L’idée serait de "dériver" une partie de la taxe culturelle que versent déjà les fournisseurs d’accès internet à la filière cinéma.

Le modèle du CNC ?

Du point de vue des directeurs de label et des producteurs de concerts, la perspective d'un centre national de la musique est plutôt réjouissante. "Pour nous, c’est assez alléchant d’avoir un CNM", avoue Cédric Cimadomo, administrateur de la société de production Zamora, qui organise les tournées de chanteurs, Aaron et L notamment. "La multitude des sociétés civiles nous fait perdre du temps. Avoir un seul interlocuteur serait une très bonne nouvelle pour les producteurs parisiens comme nous."

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INTERVIEW : Jean-Bernard Lévy, PDG de Vivendi

Cependant, concède Cédric Cimadomo, les petits producteurs risquent d’être perdus dans la masse des demandeurs de subvention. Jean-Sébastien Nicolet, conseiller musique au Point Ephémère, centre culturel qui présente des musiciens émergents à Paris, exprime les mêmes craintes. "La structure va peut-être simplifier la vie des salles et des boîtes de production déjà installées, mais cela va handicaper les jeunes qui montent leur dossier pour la première fois et qui n’ont pas les réseaux nécessaires pour percer. Avec une administration centralisée, la porte sera encore plus difficile à franchir. D’autant plus quand je vois qui sont les gens qui militent pour le CNM* : ils sont clairement déjà installés dans des structures, sont impliqués dans Hadopi… c’est de l’entre-soi".

Ne pas faire de l’entre-soi, telle est pourtant la promesse de ceux qui ont rédigé le rapport appelant à la création d’un CNM – ils parlent d’assurer "la défense des acteurs les plus faibles, maintenir la diversité et favoriser l’accès de nouveaux entrants". Dans l’interview qu’il a accordée au Monde, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a cru bon lui aussi d’expliquer que le CNM ne favoriserait pas ses créateurs : "On soupçonne le CNM d'être destiné à bénéficier aux grands groupes, ce qui est faux : le CNM sera le fer de lance de la diversité musicale", a-t-il affirmé.

La création de la structure musicale se heurte aussi à des questions de principe : "Je ne suis pas pour une économie de l’industrie musicale qui serait dépendante de ce que l’Etat ou les majors décideraient de ce qui est culturel ou pas", déclare Patrick Frémeaux à France24.com. "Mes expériences passées de demandes de subventions publiques n’ont pas été positives. Quand j’ai déposé des dossiers auprès du CNC pour financer des documentaires sur la musique, j’ai reçu la pire des lettres possibles : mon projet ne rentrait pas dans leur critère d’oeuvre culturelle", se souvient-il.

Autre opposition de principe : celle des financeurs éventuels. La mise à contribution des fournisseurs d'accès internet semble naturelle pour Frédéric Mitterrand et Nicolas Sarkozy, qui l’ont annoncée en fanfare, mais les entreprises concernées ne l’entendent pas de cette oreille. Déjà mécènes à hauteur d’un tiers du budget du CNC environ, bientôt aux deux-tiers du CNM, les PDG d’Iliad, France Telecom, Bouygues et Vivendi ont rédigé un texte commun pour s’en plaindre.

Devant le législateur aussi, le gouvernement aura beaucoup de peine à justifier qu’il faille oxygéner ce secteur précis de l’industrie culturelle, quand le mot d’ordre général est à la diète. Et il lui faudra prouver que le modèle du genre, le CNC, qui jouit d’une opulence à faire bondir l’Inspection des Finances, est un modèle à suivre. Nicolas Sarkozy s'apprête donc à faire le grand écart. Pour un président de droite, même en fin de mandat, ce sera une gymnastique périlleuse.

* Le rapport a été rédigé par Didier Selles (conseiller maître à la Cour des comptes), Franck Riester (député UMP, ancien rapporteur parlementaire des deux lois Hadopi, et membre du collège de la Haute Autorité), Alain Chamfort (auteur-compositeur-interprète), Daniel Colling (directeur du Printemps de Bourges et du Zénith de Paris) et Marc Thonon (directeur du label Atmosphériques et président de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France , SPPF).