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Seïf al-Islam Kadhafi, le réformateur devenu guerrier

Seïf al-Islam Kadhafi, arrêté samedi dans le sud de la Libye, était devenu la bête noire du CNT. Pourtant, avant que n'éclate la rébellion à Benghazi en février, il est longtemps apparu comme un réformateur du régime Kadhafi. Portrait.

Seïf al-Islam Kadhafi, recherché par la Cour pénale internationale de La Haye pour crimes contre l’humanité et considéré comme le dauphin de l'ancien Guide libyen, a été arrêté samedi 19 novembre dans le sud de la Libye.

Le fils cadet de Mouammar Kadhafi était le dernier homme fort du régime Kadhafi à être en cavale depuis la chute de Tripoli le 23 août, date à laquelle il n’avait plus été vu en public. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, recherché par Interpol, il a été retrouvé à proximité de la frontière nigérienne.

Mise impeccable et discours respectable

Agé de 39 ans, le fils le plus charismatique et le plus ambitieux de la fratrie Kadhafi a longtemps été considéré comme le légataire naturel de l'ancien Guide et avait une grande influence sous les ors du palais présidentiel. Dans le dossier à charge constitué par le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, il est présenté comme le "Premier ministre de facto" de l’ancien régime. Il est accusé d'avoir joué un "rôle-clé dans la mise en œuvre d'un plan" conçu par son père visant à "réprimer par tous les moyens" le soulèvement populaire, notamment par l’enlèvement et le viol en série de victimes "dans des centres de détention secrets", précise Luis Moreno-Ocampo.

Avant que n’éclate la révolution en Libye et qu’il ne devienne le porte-parole et la tête pensante des troupes de Kadhafi face aux forces de l’Otan et du CNT, Seïf al-Islam Kadhafi présentait pourtant tous les atouts pour plaire à l’Occident : études de gestion à Vienne et à Londres, où il obtient un doctorat de la prestigieuse London School of Economics (LSE), mise impeccable et discours respectable. Tout l’inverse de son père, électron libre de l’échiquier mondial et accusé de terrorisme.

Seïf al-Islam a pris part à des négociations internationales, notamment lors des accords d'indemnisation des familles des victimes de l'attentat de Lockerbie en 1988 et celui du DC-10 d'UTA en 1989, puis dans la libération des infirmières bulgares en 2007. Il avait créé une association caritative et s’était fait l’ambassadeur de l'humanitaire aussi bien en Libye qu’à l’étranger. Il s'était entouré de réformateurs, qui sont allés jusqu’à rédiger une proposition de Constitution et exposer un projet de modernisation pour la Libye, notamment une ouverture des médias. Seïf al-Islam a lancé la première chaîne de télévision privée du pays.

Cette image de réformateur diplômé est nuancée par les révélations de Wikileaks. Le site accuse Seïf al-Islam Kadhafi d'avoir obtenu son doctorat à la LSE grâce à un plagiat et pointe des liens financiers entre l'école et la Libye. Dans une note diplomatique de 2009, Saïf al-Islam Kadhafi est décrit comme un homme "qui fait des déclarations fracassantes sans donner suite". Ces incohérences sont aujourd’hui pointées du doigt par ses anciens proches, dont Youssef Sawani, qui témoigne dans le bi-mensuel américain "The New Republic".

Tous les traits d’un musulman pieux

L’insurrection de Benghazi révèle au grand jour l’autre visage de Seïf al-Islam Kadhafi. Un temps pressenti pour former un gouvernement d’union nationale, son discours change radicalement en février. Seïf al-Islam adopte un langage guerrier et se fait le plus fervent défenseur du régime de son père : "Nous ne lâcherons pas la Libye et nous combattrons jusqu'au dernier homme, jusqu'à la dernière femme et jusqu'à la dernière balle", déclare-t-il le 20 février.

Quand la France mène les négociations diplomatiques pour soutenir militairement les insurgés de Benghazi, Seïf al-Islam intervient devant les médias internationaux. Dans une interview accordée à Euronews, il menace de publier des documents compromettants pour le chef de l’Etat français Nicolas Sarkozy, notamment sur le financement de sa campagne électorale de 2007.

Sa mue se précipite au cours des combats du printemps : il apparaît sur une vidéo (ci-dessus), un fusil à la main, haranguant les partisans du régime. Début août, il présente tous les traits d’un musulman pieux, avec barbe et chapelet de prière, lors d’une interview accordée au New York Times. Il déclare alors avoir fait alliance avec les chefs islamistes de la rébellion libyenne, rompant des années de mise à distance.

La dernière apparition en public de Seïf al-Islam date de la nuit du 22 au 23 août lorsqu’il coupe court aux rumeurs le donnant prisonnier aux mains des rebelles. Il parade alors devant les journalistes étrangers en assurant que tout va "bien" à Tripoli. Quelques heures plus tard, le QG de Kadhafi est aux mains des rebelles. Fin août, il est encore le porte-parole du régime Kadhafi : "Je vous parle d'une banlieue de Tripoli. Nous voulons tranquilliser le peuple libyen, nous sommes toujours là, la résistance continue et la victoire est proche. […] Chaque Libyen est Mouammar Kadhafi, chaque Libyen est Seïf al-Islam [...] Là où vous vous trouvez face à un ennemi, combattez-le".

Le sort de son père pour perspective

Pour autant, alors même que sa position de bras droit de Mouammar Kadhafi est incontestable, Seïf al-Islam a des arguments pour se défendre devant la justice internationale. "Dans le dossier de la CPI, il y a assez peu d’éléments probants qui concernent nommément Seïf al-Islam Kadhafi, estime Mathieu Mabin, grand reporter à France 24. Il n’est pas forcément le boucher sanguinaire qu’était son père."

Cette perspective a peut-être poussé Seïf al-Islam à se laisser capturer samedi 19 novembre, dans le sud de la Libye. Il semble même qu’il a préparé sa reddition et pris indirectement contact avec la CPI. Une information que l'institution judiciaire internationale a partiellement confirmée. "Seïf al-Islam s’attend à ce que la CPI soit plus clémente et plus transparente que la justice libyenne", analyse Mathieu Mabin.

"Son jeu de cache de ces derniers mois pourrait signifier qu’il cherchait à être capturé par des forces étrangères - française, britannique ou américaine, poursuit le journaliste. "Il redoutait de subir le même sort que son père", dont la mort le 20 octobre dernier a suscité beaucoup de controverses et fait l’objet d’une enquête diligentée par le CNT.