
Le célèbre auteur des Versets sataniques a lancé une cyber-campagne pour protester contre Facebook, qui voulait qu’il utilise son vrai prénom - Ahmed. L’écrivain a eu gain de cause. Une victoire pour les partisans du droit à l’anonymat sur le Web.
Salman Rushdie 1 ; Facebook 0. Au terme d’une intense bataille, essentiellement livrée lundi sur Twitter, le célèbre romancier a retrouvé son nom sur Facebook. “Victoire ! Facebook a cédé. Je suis de nouveau Salman Rushdie. Je me sens tellement mieux. A mon âge, une crise d’identité n’est vraiment pas drôle”, écrivait-il sur Twitter lundi soir.
Car c’est bien d’un problème d’identité dont il s’agissait. Samedi, l’écrivain n’a plus accès à sa page Facebook. Le n°1 mondial des réseaux sociaux estime alors que Salman n’est pas Rushdie... Il faut alors que ce dernier envoie au géant du Web une photocopie de son passeport pour prouver sa bonne foi.
"Ahmed Rushdie"
Facebook répond alors à l’illustre écrivain qu’il subsiste un problème : son vrai nom, tel qu’indiqué sur le passeport, n’est pas "Salman Rushdie", mais "Ahmed Salman Rushdie". Du coup, le site accepte de rouvrir la page de l’auteur, mais avec le nom d’Ahmed Rushdie.
Un “intégrisme” de la véritable identité qui finit d’exaspérer Salman Rushdie. L’auteur des Versets sataniques déclare alors une guerre numérique à Facebook et à son fondateur, Mark Zuckerberg. “Où te caches-tu Mark ? Sors de ta tannière et rends-moi mon nom !”, lance-t-il ainsi sur Twitter. Il traite les responsables du réseau social de “connards” et s’insurge contre une politique qui aurait obligé J. Edgar Hoover (l’un des plus célèbres directeurs du FBI dans les années 1940) à n’être que John Hoover ou James Paul McCartney (le bassiste des Beatles) à demeurer James McCartney.
Une recherche des célèbrités plus connues par leur deuxième prenom qui amuse les utilisateurs de Twitter et #MiddleNameUser devient rapidement un sujet à la mode sur le réseau de microblogging. La campagne finit par porter ses fruits. Lundi soir, Facebook se résout à s’excuser pour son “erreur” et le tort causé à l'écrivain.
Nym Wars, la guerre des pseudonymes
La fascination des internautes pour cette histoire tient autant à la personnalité de la victime qu’au débat qu’il soulève. En effet, la question de l’identité et de l’éventuel droit à l'anonymat sur le Web est l’une des plus discutées actuellement. Les grands réseaux sociaux (Facebook ou Google+), à l’exception notable de Twitter, poussent à une utilisation des véritables patronymes sur leur plateforme. A l’inverse, une part grandissante des internautes revendique le droit d’utiliser des pseudonymes sur la Toile et sont embarqués contre Facebook et Google+ dans une guerre baptisé “Nym Wars” - "la guerre des (pseudo)nymes".
L’argument des grands réseaux sociaux en faveur des véritables identités est que leur utilisation rend “l’environnement Internet plus confortable”, comme l’a expliqué Vic Gundotra, le "Monsieur social" de Google. Les internautes ne peuvent ainsi pas venir insulter d’autres utilisateurs en se cachant derrière de faux noms. Il s’agirait donc d’un effort louable contre le “cyber-harcèlement”.
Il y a aussi une raison économique qui incite ces sociétés à préférer voir leurs abonnés utiliser leur véritable identité. Facebook, par exemple, espère mettre en place un “passeport universel”. Grâce à son compte, l’internaute pourrait acheter des billets d’avion ou des places de théâtre en quelques clics. Ce commerce d’identités numériques a été estimé, en 2010, à plus de deux milliards de dollars annuels par le cabinet américain Forrester.
Quid en cas de cyber-révolution ?
Les opposants à cette religion de la véritable identité jugent qu’elle peut s’avérer dangereuse. Wael Ghonim, l’une des figures de proue du cyberactivisme égyptien pendant la Révolution qui a terrassé le régime de Moubarak, n’a-t-il pas utilisé un pseudonyme pour créer une page Facebook ? “Aux États-Unis, la question n’est peut-être pas aussi importante qu’en Syrie, par exemple, où la mort attendrait probablement tous les jeunes qui utiliseraient leur véritable nom sur l’Internet”, explique ce mardi, au New York Times, Joichi Ito, responsable du Media Lab, centre de recherche sur les nouveaux médias du Massachusetts Institute of Technology.
Des arguments qui ont commencé à porter leurs fruits. Vic Gundutra a ainsi reconnu, le 20 octobre, que Google réfléchissait à un moyen de permettre aux utilisateurs de Google+ d’utiliser des pseudonymes sans pour autant nier l’essence d’un réseau social : permettre de retrouver des personnes que l’on connait.