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Les Sages ont invalidé la loi sur les lieux classés secret-défense. Dans le cadre de l'attentat de Karachi en 2002, Matignon en avait ainsi soustrait une vingtaine. En revanche, les documents ne pourront être déclassifiés.

AFP - Le Conseil constitutionnel, saisi par les familles de victimes de l'attentat de Karachi, a censuré jeudi les règles relatives aux lieux classés secret défense, mais a jugé conformes à la Constitution les dispositions encadrant la classification des documents.

Le Conseil était saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par les familles qui jugeaient que les règles encadrant le secret défense entravent le déroulement de l'enquête, la déclassification des documents et des lieux ne reposant selon eux que sur la volonté du pouvoir exécutif.

La loi du 29 juillet 2009 a étendu le secret défense - qui concernait auparavant des documents - aux locaux les abritant. Par un décret non publié au Journal officiel, Matignon a classé "secret défense" une vingtaine de lieux, notamment les services de renseignement et de contre-espionnage.

Les Sages ont relevé que la classification d'un lieu secret défense empêche les magistrats d'accéder à ce lieu et que l'accès à d'éventuelles preuves est inaccessible tant qu'une autorisation administrative ne lui a pas été délivrée, ce qui est contraire à la Constitution.

"La classification d'un lieu a ainsi pour effet de soustraire une zone géographique définie aux pouvoirs d'investigation de l'autorité judiciaire" et "subordonne l'exercice de ces pouvoirs d'investigation à une autorité administrative", relève le Conseil dans sa décision.

Jusqu'à cette décision qui entre en vigueur le 1er décembre, le ministère concerné était libre d'autoriser ou non une perquisition après la demande du magistrat et l'avis consultatif du président de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN).

"Avancée très importante"

Le Premier ministre François Fillon avait ainsi refusé en novembre 2010 au juge Renaud van Ruymbeke l'autorisation de perquisitionner la DGSE à Paris dans l'affaire de Karachi.

Jeudi soir, M. Fillon a pris "acte" de la décision du Conseil constitutionnel et souligné que "le gouvernement veillera à ce que la suppression du régime spécifique des lieux classifiés n'affaiblisse pas l'efficacité des mesures de protection des intérêts fondamentaux de la Nation".

"C'est une avancée très importante. Les familles de victimes se réjouissent que le Conseil constitutionnel ait jugé contraire à la Constitution un certain nombre de dispositions", a déclaré à l'AFP l'avocat des familles de victimes, Me Olivier Morice.

"Nous souhaitons que la justice puisse avoir accès à tous les documents classifiés permettant d'élucider les circonstances de l'attentat de Karachi", a-t-il ajouté.

"C'est un grand pas en avant mais il faudra que le législateur aille au-delà en 2012 en faisant plus confiance aux juges", a dit à l'AFP Magali Drouet, porte-parole des familles.

Le député PS Bernard Cazeneuve, rapporteur de la mission d'information sur l'attentat de Karachi, a jugé que cette décision "montrait la légitimité des réserves pointées par le PS lors du vote de la loi" de 2009.

Plus généralement sur le secret défense, le député s'est déclaré "favorable à une réforme lors de la prochaine législature permettant de trouver une position consensuelle et garantissant un rééquilibrage entre les principes fondamentaux de préservation des intérêts fondamentaux de la Nation et le droit à un procès équitable".

Pour le président du groupe socialiste du Sénat François Rebsamen, cette censure "est un désaveu cinglant pour le gouvernement et un espoir de vérité pour les familles des victimes".

Le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) s'est félicité de cette décision "qui vient rappeler avec force le principe de séparation des pouvoirs et mettre un sévère coup d'arrêt à la volonté croissante du pouvoir actuel de se soustraire à l'action de la justice".

Le Conseil a parallèlement jugé conforme à la Constitution les dispositions concernant les documents classés secret défense, soulignant les "garanties d'indépendance conférées" à la CCSDN et les conditions et procédures de déclassification des documents.