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"L'Afrique que l’Europe s'attend à voir n'est pas celle que nous présentons"

Parmi les galeries sud-africaines présentes à Paris Photo, Foire internationale de la photographie : la Gallery MoMo, qui expose de jeunes artistes tutoyant l’art contemporain mondial. Rencontre avec le directeur de la galerie, Monna Mokoena.

Cette année, la Foire internationale Paris Photo, du 10 au 13 novembre, met à l’honneur la photographie africaine dont le cœur se partage entre deux capitales : Bamako, au Mali, où se tient une biennale de la photographie, et Johannesbourg, en Afrique du Sud, qui accueille la plupart des galeries d’art d’Afrique. Zoom sur "Gallery MoMo" qui tire son nom de Monna Mokoena, fondateur et directeur. Ce dernier, natif de Johannesbourg où il a grandi, fonde sa galerie en 2003. Paradoxalement, il est l’un des rares galeristes noirs de Paris Photo "spéciale Afrique". Rencontre.

Comment avez-vous été amené à faire de la photographie votre métier ?

Il y a une tradition de la photographie en Afrique du Sud, apportée par les missions religieuses luthériennes. Nous avons tous des portraits de famille chez nous, j’ai grandi avec cette esthétique.

Je suis devenu professionnel en travaillant pour une galerie photo, dans les années 1990. J’ai passé beaucoup de temps dans les archives de cette galerie, à chercher de vieux documents, et cette expérience m’a donné envie de créer ma propre affaire.

J’ai commencé par vendre les œuvres de quatre ou cinq amis, dont Andrew Tshabangu, qui est exposé ici et qui est l’un des photographes que j’emmène partout dans le monde. Aujourd’hui, je diffuse surtout de jeunes artistes, comme Ayana V. Jackson (cf photo ci-dessous) et Sammy Baloji. Celui-ci vit depuis peu en Belgique. Il est obsédé par les stigmates coloniaux que porte son pays d'origine, la République démocratique du Congo, et par la manière dont les richesses du pays sont dilapidées. On s’est rencontrés à la Biennale de la photographie à Bamako, il y a deux ans.

De jeunes artistes, exception faite d’Alf Kumalo…

Il est une icône chez nous. Il a fait partie de la génération "Drum" [une revue sud-africaine qui a rendu compte des mouvements civiques dans les townships noirs, NDLR], ces photographes des années 30 et 40 tels que Jurgen Schadeberg, Peter Magubane, David Goldblatt… Il n’hésitait pas à se faufiler dans les townships et à prendre des photos volées pour rendre compte de la répression dont était victime la population noire. Alf Kumalo a fait partie de ces témoins-clé qui ont révéler l’apartheid au monde entier. Il a également beaucoup photographié Nelson Mandela et son épouse Winnie. Il est temps que son œuvre soit connue en Europe !

Comment observez-vous l’évolution de l’intérêt pour la photographie africaine ?

Le monde est en train de changer. Et l’Afrique que l’Europe s’attend à voir n’est pas celle que nous présentons, ici à la Galerie MoMo. Nous mettons en avant des photographes contemporains, de jeunes artistes qui racontent une histoire et une vision du monde. Nos artistes habitent partout dans le monde : en Belgique, aux États-Unis, en Allemagne… et se préoccupent de questions mondiales. Certes, ils gardent une connexion africaine, un lien avec leurs racines, mais ils traitent de problématiques universelles. C’est la nouvelle génération d’artistes africains.

L’Afrique est en pleine expansion, quand on compare avec les récessions dans lesquelles l’Europe et les États-Unis sont plongés. Et la photographie africaine se porte bien.

Nous refusons de faire de la photo misérabiliste ou folklorique, ou de proposer une étude anthropologique de l’Afrique. Ce ne sont pas des photographes qui viennent chez nous, nous prennent en photo, et font ensuite leur commentaire. Nous montrons des photographes qui sont en phase avec les préoccupations du monde.