
Alors que l’AIEA s’apprête à publier un rapport sur le programme iranien, Israël menace la République islamique de frappes préventives. Mais pour Alain Rodier, spécialiste du renseignement militaro-industriel, l’État hébreu ne passera pas à l’action.
Israël a choisi de frapper fort. Alors que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) rendra un nouveau rapport sur le nucléaire iranien mardi ou mercredi, l’État hébreu envisage désormais de procéder à des frappes préventives contre les installations de Téhéran. "La possibilité d’une attaque contre l’Iran est plus proche que l’option diplomatique", a affirmé dimanche le président Shimon Peres dans une interview au quotidien Haaretz, estimant que l'Iran serait sur le point "d’ici un an environ" de se doter de l’arme atomique.
Faut-il prendre ces déclarations pour argent comptant ? Selon Alain Rodier, spécialiste du renseignement militaro-industriel et directeur de recherche au Centre français de recherches sur le renseignement (CF2R), les menaces d’Israël ne devraient rester que de simples avertissements.
FRANCE 24 : Quel crédit accorder à la menace d'un recours à la force ?
Alain Rodier : L’État hébreu brandit une menace purement rhétorique, qui resurgit d’ailleurs assez régulièrement. Ce n’est pas la première fois que Tel Aviv brandit la menace militaire pour contrer Téhéran. En novembre 2010 déjà, le gouvernement israélien avait prévu d’attaquer les installations nucléaires iraniennes, mais les États-Unis l’en avaient empêché.
Cela ne veut pas dire que les avertissements israéliens ne doivent pas être pris au sérieux, mais avec une certaine précaution. En effet, les deux pays mènent avant tout une guerre psychologique.
FRANCE 24 : Israël ne mettra donc pas sa menace à exécution ?
A.R. : Si le gouvernement israélien prenait la décision d’une intervention militaire, il devrait faire face à plusieurs problèmes. Logistique, d’une part, car avant de frapper il faut savoir localiser. Or, Téhéran a réparti ses bases nucléaires sur tout le territoire, certaines étant même sous terre. Ces cibles, disséminées ou enfouies, sont extrêmement difficiles à repérer. Sans compter que le régime diffuse, probablement depuis des années, de fausses informations sur la géolocalisation de ses installations - ce qui rend doublement inefficace toute alternative militaire.
D’autre part, des frappes israéliennes contre l’Iran ne règleraient aucun problème de fond. Elles pourraient certes retarder le programme nucléaire iranien, mais elles ne l’anéantiraient pas : elles le repousseraient de quelques années.
Enfin, l’État hébreu prendrait un risque diplomatique considérable sur la scène internationale. Les pays occidentaux ont, jusqu’à présent, toujours préféré un renforcement des sanctions et la voie diplomatique pour contraindre l’Iran à abandonner son programme d’enrichissement d’uranium. Si Israël n’a pas pour habitude de tenir compte de l’avis de la communauté internationale, le pays n’est pas non plus déraisonnable. Il sait que les États-Unis désapprouveraient l’opération et refuseraient de subir les foudres des alliés arabes de Téhéran.
FRANCE 24 : En cas de frappes, les conséquences diplomatiques et politiques dans la région seraient-elles "irréparables" - comme le redoute Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères ?
A.R. : Bien évidemment. Téhéran a le pouvoir de déstabiliser en profondeur tout le Moyen-Orient. En cas d’attaques, son allié du Hezbollah pourrait par exemple mener des actions au nord d’Israël, tandis que le Hamas, équipé par les Iraniens, pourraient à déclencher des troubles au sud. A ces menaces de représailles, il faudra certainement ajouter celles d’actions terroristes ou d’attentats-suicides du djihad islamiste.
Côté iranien, les intimidations répétées contre le territoire hébreu sont tout aussi rhétoriques. Un acte d’agression serait considéré comme une déclaration de guerre à laquelle Israël répondrait sans le moindre état d’âme - et avec une puissance considérable.
Nous sommes donc dans un "schéma d’équilibre de la terreur", où aucun des deux pays n’osera jamais frapper le premier.