
Deux semaines après l’installation du campement de plusieurs centaines d'"Indignés" sur le parvis de la cathédrale Saint-Paul à Londres, l’Église anglicane ne parvient à s'accorder sur une ligne de conduite : expulser ou non ?
Faut-il expulser les quelque 200 protestataires anti-capitalistes qui, à l'instar du mouvement "Occupy Wall Street" à New York, se sont installés sur le parvis de la cathédrale Saint-Paul, à Londres ? La question n’en finit pas de diviser les autorités anglicanes en désaccord sur l’attitude à adopter face aux manifestants qui gênent l’accès à l’édifice. En deux semaines, les dissensions internes ont été telles qu’elles ont entraîné la démission de trois responsables religieux.
La dernière en date n’est autre que celle du doyen de Saint-Paul, Graeme Knowles, qui a annoncé lundi qu’il quittait ses fonctions ecclésiastiques car sa position était devenue "intenable" face aux critiques de "l’opinion publique, de la presse et des médias". L’homme, qui avait un temps soutenu la possibilité d’un recours à la justice pour déloger les manifestants - option toujours envisagée par sa hiérarchie -, aura finalement changé d’avis. Il refuse aujourd’hui d’être associé à l’usage de la violence pour déloger les manifestants. Une prise de position que partageaient déjà le chanoine Giles Fraser, numéro trois dans la hiérarchie de la cathédrale, et le chapelain Fraser Dyer, qui ont tous deux démissionné la semaine dernière.
"Salir" la réputation de l’Église
Cette discorde ecclésiastique interne qui fait aujourd’hui les choux gras de la presse britannique est loin d’être vaine, explique Andrew Brown, journaliste pour le quotidien The Guardian. Selon lui, c’est la réputation de l’Église anglicane qui est désormais en jeu. "Des avocats, des services sanitaires, pensent sûrement que l’expulsion [des "Indignés"] est la solution, mais le reste de l’Église estime que cette réponse serait erronée et qu’elle viendrait salir la réputation du christianisme", écrit-il dans son blog.
Pour Giles Fraser, cette expulsion est même contraire à la morale chrétienne. "Je démissionne parce que je crois que l’Église ne devrait jamais collaborer avec une quelconque action qui pourrait la conduire à utiliser la violence contre des manifestants", déclarait-il au quotidien britannique Evening Standard, le 27 octobre. Adhérant aux valeurs des "Indignés", le chanoine indiquera même au Guardian que "Saint-Paul était un poseur de tentes. Si l’on essaie de recréer l’endroit où Jésus a pu naître, pour ma part, j’imagine qu’il aurait pu voir le jour dans ce campement."
À l’origine, ces "indignés" n’avaient pas choisi pour cible la cathédrale anglicane mais la bourse de Londres, située quelques rues plus loin. Repoussés par les forces de police, ils ont rebroussé chemin avant de s’installer sur le parvis de Saint-Paul.
Menace sur la "vie de la cathédrale"
De son côté, la hiérarchie anglicane invoque des raisons pragmatiques pour défendre sa position. D’après l’évêque de Londres, Richard Chartres, les tentes gênent non seulement l’accès à la cathédrale, posent des problèmes de sécurité, mais menacent aussi "la vie de la cathédrale", dont la fréquentation a énormément baissé depuis le début du mouvement, le 15 octobre.
"Ironiquement, la seule organisation que les 'Indignés' ont réussi à faire plier est Saint-Paul, a-t-il déclaré dans les colonnes du Telegraph. Tout cela est grotesque. Les tentes sont là depuis deux semaines et les fondations du capitalisme n’ont pas bougé", a-t-il ajouté. La fermeture de Saint-Paul, entre le 21 et 28 octobre pour des raisons de santé publique, aurait fait perdre à l’Église près de 23 500 euros par jour, l’entrée pour les touristes étant payante.
"Empêcher l’accès à Saint-Paul a de multiples conséquences dans le quartier de la City, explique Bénédicte Paviot, la correspondante de France 24 à Londres. L’étalage de tentes de fortune nuit à l’image du quartier et a un impact négatif sur le tourisme. Si les gens n’ont plus accès à la cathédrale, ils évitent le quartier, et de fait, consomment moins."
Une affaire complexe et délicate
Autant d’arguments que l’évêque de Londres a fait valoir pour pousser l’Église anglicane à mener une action juridique et obtenir le droit de mettre fin au campement. Un argument que "les 'Indignés' ne comprennent pas, indique Bénédicte Paviot, car non seulement ils estiment que leur cause devrait être soutenue par l’Église mais ils affirment aussi mettre tout en œuvre pour coopérer avec la cathédrale et respecter les mesures de sécurité."
Pour le moment, l’Église anglicane ne s’est toujours pas accordée quant à la ligne de conduite à suivre. "Seule la City de Londres [qui a son propre maire et sa propre police] a jusqu’à présent menacé de déloger les protestataires. C’est une affaire complexe et délicate. Les autorités religieuses et politiques ont peur qu’une action menée à l’encontre de ces 'Indignés' ne scandalise l’opinion publique et fasse des émules dans le pays", conclut la journaliste.