
La Ligue arabe a entamé une médiation pour tenter d’amorcer un dialogue entre le régime de Bachar al-Assad et l’opposition syrienne. Quels sont les enjeux de cette initiative ? Éléments de réponse avec Fabrice Balanche.
Depuis le mois d’août, la Ligue arabe hausse le ton contre Damas qui, depuis sept mois, réprime dans le sang le soulèvement populaire qui demande la fin du régime de Bachar al-Assad. Après avoir envoyé en vain son secrétaire général Nabil al-Arabi en septembre, l’organisation tente une nouvelle fois de désamorcer la crise. Une délégation présidée par le ministre qatari des Affaires étrangères, cheikh Hamad ben Jassem, a entamé une médiation entre le pouvoir et l’opposition en s'entretenant avec le président syrien Bachar al-Assad mercredi. Une nouvelle réunion est prévue dimanche. Quels sont les enjeux de cette médiation et quelles chances a-t-elle d’aboutir ?
Fabrice Balanche, directeur du groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient et professeur à Lyon-2 apporte des éléments de réponses à ces questions.
Pourquoi la Ligue arabe prend-elle cette initiative ?
Fabrice Balanche : Ce n’est pas le premier geste de la Ligue arabe. Elle a condamné les violences en septembre. Et il y a une quinzaine de jours, lors d'une réunion extraordinaire consacrée à la Syrie, elle avait eu des mots très durs en invitant Damas à renouer le dialogue pour éviter une éventuelle intervention étrangère. Ce qui constituait une menace à peine feutrée. La médiation menée aujourd'hui s’inscrit dans la continuité des efforts de la Ligue arabe.
Comment peut-on l’interpréter ?
F. B : Il faut savoir lire entre les lignes. Il ne s’agit pas uniquement de trouver une solution à la crise syrienne. On note que cette fois, ce n’est pas Nabil al-Arabi, le président de la Ligue arabe, qui s’est rendu à Damas. En effet, la rencontre qui avait eu lieu début septembre entre lui et le président syrien ne s’était pas bien passée. Là, comme par hasard, c’est le ministre qatari des Affaires étrangères, cheikh Hamad ben Jassem, qui prend la tête de la délégation. Rappelons que le Qatar a fermé son ambassade à Damas depuis début juillet, et qu’il est le premier à être contre la Syrie, avec notamment la couverture des évènements que fait la chaîne qatarie Al-Jazeera.
Avec cette médiation, on peut voir une volonté de la part du Qatar de renouer avec la Syrie sur le plan diplomatique. Le Qatar a visiblement compris que le régime syrien n’allait pas chuter à court terme et ne souhaite pas rester en conflit avec Damas. Le chef de la diplomatie qatari a évoqué à l’issue de la rencontre "une discussion longue, franche et amicale". Il y a clairement un enjeu diplomatique. Dans le même temps, la Syrie a envoyé le vice-président Farouk al-Chareh aux funérailles du prince héritier saoudien. Une façon d’envoyer une messager pour désamorcer la crise.
Cette médiation a-t-elle des chances d’aboutir ? Comment la situation risque d’évoluer dans les prochains mois en Syrie ?
F. B. : La médiation n’a aucune chance d’aboutir. Concrètement, la délégation de la Ligue arabe est en train de demander à Bachar al-Assad d’intégrer des islamistes dans son prochain gouvernement, or le président syrien sait très bien que, s’il accepte cela, ce sera la fin pour lui. Il est probable que Bachar al-Assad réponde simplement qu’un processus de réforme est lancé et que la nouvelle loi des partis permet à chacun de se présenter aux municipales de décembre, et en février 2012 pour les législatives. Habituellement ce sont des scrutins qui n’intéressent personne mais qui là donneront peut-être lieu à des négociations en ce sens.
Quant à une éventuelle intervention étrangère, elle est plus qu’improbable. Tout d’abord, il y aura toujours les vetos russe et chinois pour la bloquer. Par ailleurs, on peut désormais s’attendre à ce que le Qatar et l’Arabie saoudite, pour les raisons que j’ai évoqué plus tôt, desserre leur étau sur Damas, ce qui aura pour effet de démotiver l’Occident. L’Otan n’a d’ailleurs pas intérêt à intervenir en Syrie, où il n’y a que peu de ressources minières. Enfin, la France et les Etats-Unis sont à la veille d’une élection présidentielle, leur calendrier ne permet pas un nouvel engagement militaire.
La seule inconnue reste la rue syrienne : à l’heure actuelle on ne peut pas prédire si les manifestations vont se poursuivre ou se calmer.