Conscient de ne pouvoir obtenir seul la majorité au sein de la future Assemblée constituante, le parti de Rached Ghannouchi (photo) tente un rapprochement avec les formations laïques qui se disputent la seconde place des élections constituantes.
Après plusieurs années de silence forcé sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, le parti islamiste Ennahda (Rennaissance) devrait devenir ce mardi la première force politique de la Tunisie. Bien que les résultats définitifs des élections constituantes, attendus dans le courant de la journée, n’aient toujours pas été annoncés, tout le monde dans le pays s’accorde à reconnaître la large avance de la formation emmenée par Rached Ghannouchi. Lundi soir, Ennahda a indiqué, sur la foi des résultats récoltés dans plusieurs bureaux de vote locaux, qu'il arrivait en première place sur le plan national et dans la plupart des régions.
Sur les 18 sièges sur 217 réservés aux Tunisiens de l'étranger, Ennahda en obtient 9, le Congrès pour la République (CPR, gauche nationaliste) 4, Ettakatol (gauche) 3, le Pôle démocratique moderniste (gauche) 1 et la Liste pour la liberté et le développement (centre) 1.
Si, comme ils l’affirmaient dès lundi soir, les islamistes récoltaient entre 30% et 40% des voix, ils obtiendraient au mieux 60 des 217 sièges que compte la future Assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution et de désigner un nouvel exécutif jusqu'aux prochaines élections générales. "Ennahda ne pourra obtenir seul la majorité absolue. Pour gouverner, il devra donc nouer des alliances. À ce petit jeu, le parti compte déjà ses alliés et ses ennemis", rapporte David Thomson, correspondant FRANCE 24 à Tunis.
Mariage de raison ?
Depuis lundi, Ennahda multiplie les appels du pied en direction des formations laïques qui se disputent la seconde place des élections, premier scrutin démocratique du "printemps arabe". "Nous sommes prêts à former une alliance avec le Congrès pour la république [CPR, gauche nationaliste] de Moncef Marzouki et l'Ettakatol [gauche] de Moustapha Ben Jaafar puisque leurs opinions ne sont pas éloignées des nôtres et que ces deux partis ont obtenu un grand nombre de suffrages", a indiqué à l’agence Reuters Ali Larayd, membre du comité exécutif d'Ennahda.
Des œillades auxquelles le CPR ne semble pas insensible. La formation de Moncef Marzouki a d’ailleurs "reconnu partager 20 % des vues avec le parti islamiste", précise David Thomson. De son côté, Ettakatol pourrait également approuver l’idée d’un rapprochement politique avec les islamistes. Tout au long de la campagne, le parti de gauche s’est, en tout cas, "refusé à diaboliser Ennahda", rappelle le correspondant de FRANCE 24.
itLa veste surprise du PDP
Grand perdant de ces élections historiques, le Parti démocratique progressiste (PDP, centre gauche) ne sera, quant à lui, pas en mesure de négocier une quelconque entente avec la formation de Rached Ghannouchi. Fer de lance du combat contre les islamistes, le PDP semble avoir fait les frais d’une campagne axée sur le mot d’ordre "Tout sauf Ennahda".
Avant même la proclamation des résultats, le parti historique d’opposition, longtemps donné second par les sondages, a pris acte de sa défaite. "Le PDP respecte le jeu démocratique. Le peuple a accordé sa confiance à ceux qu'il a considérés comme étant dignes de cette confiance. Nous félicitons le vainqueur et nous siégerons dans les rangs de l'opposition", a indiqué la formation de Najib Chebbi dans un communiqué adressé à Reuters. "Nous serons toujours là pour défendre une Tunisie moderne, prospère et modérée", a prévenu à l’AFP la secrétaire générale du parti, Maya Jribi.
Inquiétudes
La percée annoncée d’Ennahda ne cesse en effet d’inquiéter cette frange de la population soucieuse de préserver la laïcité historiquement attachée à la Tunisie de Habib Bourguiba, le "père de l’indépendance". Conscient des craintes qu’il suscite dans son pays et – surtout - à l’étranger, Ennahda s’applique depuis le début de la campagne électorale à donner l’image d’un islamisme modéré ayant pour modèle l’AKP au pouvoir en Turquie.
"Nous voulons rassurer nos partenaires économiques et commerciaux, ainsi que tous les investisseurs : nous espérons très rapidement revenir à la stabilité et à des conditions favorables à l'investissement", a déclaré à la presse Abdelhamid Jlassi, directeur du bureau exécutif du parti islamiste. Les priorités de la Tunisie sont claires : de la stabilité et des conditions pour vivre dans la dignité, ainsi que la construction d'institutions démocratiques."