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Alors que les autorités birmanes ont annoncé qu'elles allaient libérer plus de 6 000 prisonniers, mercredi, l’opposition espère que les 2000 détenus politiques du pays en feront partie. Le régime s'ouvrirait-il à la démocratie ? Pas si vite...

Ils seront normalement 6 359 prisonniers à être libérés mercredi, selon la télévision d'État birmane. Un chiffre très précis qui demeure pourtant flou, puisque l’identité des détenus ne sera révélée qu’au moment de leur sortie. D'ailleurs, leurs familles et leurs proches n’en savent rien. La télévision d’État a seulement précisé que seront libérés les personnes "âgées, malades, handicapées ou qui ont purgé leur peine avec bonne conduite".

Si l’opposition et la communauté internationale espèrent qu’y figureront les 2 000 détenus politiques - figures de partis politiques, étudiants, moines... - dont la libération est réclamée comme préalable à toute levée des sanctions économiques de Washington et Bruxelles, rien n’est moins sûr... Et pour cause : le régime ne reconnait pas officiellement l’existence de prisonniers politiques.

Les opposants politiques : des prisonniers comme les autres

"Tous les prisonniers sont considérés comme des gens qui ont violé des lois et sont incarcérés pour des motifs criminels", explique ainsi Isabelle Dubuis, coordinatrice d’Info Birmanie, une association française de promotion des droits de l’Homme dans le pays. Il faut dire que les expériences passées ne sont guère encourageantes. Au mois de mai par exemple, plusieurs milliers de prisonniers avaient déjà été libérés. Mais sur les 14 500 détenus relâchés, seuls 55 étaient des militants politiques...

Cependant, des indices peuvent inciter à l'optimisme. A commencer par la lettre ouverte publiée ce lundi par le président de la Commission nationale birmane des droits de l'Homme, créée en septembre dernier par le président Thein Sein, qui a succédé en mars 2011 au généralissime Than Shwe. Cet organisme proche du pouvoir recommande la remise en liberté des "prisonniers de conscience" et des détenus qui ne représentent "pas de menace pour la stabilité de l'État et la tranquillité publique".

"La situation reste délicate"

Le processus d’assouplissement du régime s'est en outre fortement accéléré ces derniers mois : des élections législatives ont eu lieu fin 2010, la junte (au pouvoir depuis 1962) a été dissoute au printemps, un pouvoir "civil" présidé par l’ancien général Thein Sein a été mis en place et l’assignation à résidence de l’opposante historique Aung San Suu Kyi levée… "La libération des prisonniers politiques a [d'ailleurs] fait partie des discussions d'Aung San Suu Kyi avec le gouvernement de Thein Sein", assure Moe Zaw Oo, l’un des représentants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), parti fondé par Aung San Suu Kyi, joint par France24.com.

"Mais la situation reste délicate", précise-t-il. La lauréate du prix Nobel de la paix 1991, libérée en novembre 2010 après sept années d’assignation à résidence, est contrainte dans ses mouvements et ses prises de parole.

Cyril Payen, correspondant de France 24 à Bangkok, rappelle qu’en 2003, "il y avait eu un élan d’optimisme. Aung San Suu Kyi avait été libérée après de longues années de détention. Et six mois plus tard, son convoi était attaqué, il y a eu 100 morts, et l’opposante a été contrainte à l'assignation à résidence. Et aujourd’hui, son parti est toujours hors-la-loi !"

Plaire aux Etats-Unis

Les observateurs restent donc sur leurs gardes. Ils voient plutôt dans l'annonce de mardi une opération de communication qui vise essentiellement à redorer l’image du pays auprès des Etats-Unis. Partant du constat que les sanctions économiques n'avaient guère d'impact sur le régime, le président Barack Obama avait en effet proposé à Rangoun, en novembre 2009, d'entamer un dialogue en échange de réformes démocratiques et de la libération des détenus politiques. "La levée des sanctions américaines est un Graal pour la Birmanie", explique Isabelle Dubuis. "Malgré leur discours officiellement anti-américain, les autorités cherchent à jouer sur le même terrain que l’Occident."

Autre échéancier pour la Birmanie : donner des gages de respectabilité pour être en mesure de présider l'Association des Nations du Sud-Est asiatique (Asean) en 2014, soit deux ans avant la date fixée par le calendrier des présidences tournantes de l'organisme de coopération économique et diplomatique.

La libération avant l'ouverture ?

Faut-il donc accréditer l'idée que le régime est effectivement prêt à assouplir sa politique, jusqu'à libérer des étudiants, des moines, voire le très populaire comédien Zarganar, devenu une figure de proue de l'opposition ? "Bien sûr, nous espérons que Zarganar figurera parmi les 2 000 prisonniers politiques libérés, mais le chemin est long jusqu’à ce que la liberté d’expression soit respectée", répond Louise McMullan, membre de son comité de soutien, contactée par France24.com.

Pour "libérer des opposants qui ont un potentiel de nuisance démocratique fort et qui ne vont pas abandonner le combat politique du jour au lendemain, il faudrait que le régime soit assez en confiance", tempère Cyril Payen. Qui ajoute : "Il ne faut pas oublier que la torture des prisonniers politiques, l'utilisation du viol comme arme de guerre civile et le chaos économique ne vont pas cesser par un coup de baguette magique."

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