
Interrogés par France 24, deux spécialistes du dopage cycliste, Jean-Pierre Mondenard et Pierre Ballester, commentent les récentes révélations concernant Jeannie Longo, la doyenne du cyclisme français, et son mari, Fabrice Ciprelli.
A 52 ans, Jeannie Longo et son mari entraîneur Patrice Ciprelli, 56 ans, n’ont plus assez d’étagères pour exposer leurs trophées. Depuis son premier titre de championne de France sur route en 1979, la cycliste savoyarde a remporté 59 titres nationaux, 13 mondiaux, une médaille d’or olympique à Atlanta en 1996 et battu 38 records mondiaux… Un palmarès extraordinaire obscurci depuis la révélation de deux affaires, indépendantes mais très proches l’une de l’autre, qui pourraient nuire à la légende de "Super Jeannie".
Le 9 septembre, la France apprend par le quotidien "L’Equipe" que la doyenne du cyclisme mondial est convoquée par l’Agence française de lutte anti-dopage (AFLD) pour manquement aux règles. Jeannie Longo aurait été avertie à trois reprises pour avoir enfreint les règles de localisation au cours des dix-huit derniers mois. Les règles de géo-localisation imposent aux sportifs de rendre compte de leur position quotidiennement de 6 heures du matin à 23 heures avec un créneau préférentiel d'une heure par jour. La réponse de l'intéressée ne s'est pas faite attendre : "J’ai été contrôlée plus qu'aucun autre athlète au monde sans que jamais les résultats laissent le moindre doute sur mon exemplarité sportive", déclarait-elle dans un communiqué envoyé le 9 septembre à l'AFP.
Positive en 1987 à l'éphédrine
"Il est vrai qu’elle a la réputation d’être solitaire et de se couper du monde", explique Pierre Ballester, spécialiste du dopage cycliste et auteur de plusieurs ouvrages sur la question ("L.A Confidentiel", "L.A Officiel, "Le sale Tour"). "Mais à chaque manquement, l’AFLD envoie un courrier de rappel auquel elle a l’obligation de répondre. Elle ne l’a pas fait. Négligence ou concours de circonstance ? La question est permise."
Dans sa longue carrière, Jeannie Longo n’a été testée positive à un produit interdit qu’à une seule reprise. En 1987, lors d'une tentative de record du monde du trois kilomètres au Colorado Springs, des traces d’éphédrine furent révélées. Dans son livre "Du miel dans mon cartable" (éditions Laffont, 1988), elle explique qu’il s’agissait en fait d’un dérivé de ce stimulant contenu dans des "gélules à base de plantes". Après analyses, la Fédération internationale de cyclisme (UCI) décide de la blanchir. Depuis, plus rien n’est venu entacher la réputation de cette coureuse qui a fait de l’alimentation bio sa marque de fabrique.
EPO "made in China"
Mais ce mardi, "l’Equipe" révèle que son mari aurait acheté en avril 2007 de l’EPO à Joe Papp, un ancien cycliste de seconde zone reconverti en trafiquant de produits illicites. Leur échange de mails, que s’est procuré l’Agence de lutte anti-dopage américaine (USADA) dans le cadre de l’enquête contre l’ex-cycliste, sont sans équivoque : Ciprelli aurait bien acheté des seringues pré-remplies d’EPO "Eposino" pour un montant de 500 euros à une société chinoise par l’intermédiaire de Papp. "Reste à savoir qui était le destinataire de ce produit ", explique Pierre Ballester. En effet, cette année-là, Ciprelli entraîne la grande rivale de Longo, Edwige Pitel. Cette dernière remportera le titre de championne de France…en 2007.
Suspendu "à titre conservatoire" par la Fédération française de cyclisme (FFC), Patrice Ciprelli nie les faits qui lui sont reprochés. "C'est délirant. Patrice Ciprelli nie totalement toute implication, il s'agit pour lui de faux grossiers", a déclaré l'avocat du couple, Me Bruno Ravaz, dénonçant "une forme d'acharnement invraisemblable" au micro de la station de radio RTL.
Prescription
En raison de leur ancienneté, ces documents sont prescripts depuis 2010 et Ciprelli ne peut pas être poursuivi dans cette affaire. Reste que la légende - presque - immaculée de Jeannie Longo en a pris un sacré coup. "Après une carrière exemplaire comme la sienne, si Longo rime désormais avec EPO, ce sera la mort du cyclisme propre", prédit Ballester. Jean-Pierre Mondenard, médecin du sport et spécialiste du dopage, est moins étonné par la possible implication de Longo dans cette affaire. "Certes, depuis l’affaire Festina (1998, NDLR), le cyclisme est plus visé que d’autres sports par les soupçons de dopage. Mais confronté à l’incessante montée en puissance de leurs adversaires, n’importe quel sportif, dans un moment de faiblesse physique ou psychologique, peut être tenté par le dopage. Jeannie Longo ne fait pas exception à cette règle."