Six mois après la catastrophe nucléaire, les Japonais sont loin d'avoir tourné la page du drame de Fukushima... D'autant plus que le manque de communication du gouvernement nourrit le sentiment d'inquiétude de la population.
"Six mois après la catastrophe, on se sent un peu livré à nous-mêmes. On aimerait se sentir guidé par une voix officielle pour avoir au moins quelques directives", regrette Jérôme Courvoisier, un enseignant français installé à Koriyama, ville située à 60 kilomètres de Fukushima.
Ce père de famille était chez lui, le 11 mars, lorsque le séisme et le tsunami ont frappé la côte nord-ouest du Japon, causant plus de 20 000 morts et endommageant les réacteurs de la centrale de Fukushima-Daiishi. Un accident nucléaire majeur de niveau 7, le plus élevé sur l'échelle internationale des événements nucléaires (INES), la plus grave catastrophe depuis Tchernobyl en 1986. Mais en dépit des risques, Jérôme Courvoisier est décidé à rester.
it"Je suis d’abord parti", indique-t-il. Six jours après la catastrophe, il plie bagages avec son épouse et ses deux enfants, âgés de 13 et 17 ans, pour retourner en France. Après un mois et quelques scanners d’anthroporadiamétrie [qui permet de détecter et de quantifier la contamination NDLR], la famille décide de rentrer à la maison, au Japon. "J'y réside depuis 25 ans. Ma vie est ici", affirme Jérôme Courvoisier.
Il n’est pas serein pour autant. Il déplore les cafouillages et les dissensions au sein du gouvernement, et surtout le manque d’informations de la part des autorités depuis le début de la catastrophe. "J’aimerais notamment en savoir un peu plus sur les aliments à éviter", commente-t-il.
"On varie au maximum l’origine des produits"
Malgré les risques de santé publique, les autorités ont affirmé que les légumes des régions environnantes étaient propres à la consommation. Seul le bœuf, soupçonné d'être contaminé, a été interdit à la vente pendant plus d'un mois avant d'être de nouveau commercialisé. "À défaut d’être informé, on varie au maximum l’origine des produits", précise-t-il.
Depuis le 11 mars, la situation à la centrale de Fukushima n’a guère évolué. Le refroidissement des réacteurs est toujours en cours. Selon les autorités, il devrait être atteint d’ici janvier 2012, ainsi que la décontamination dans la zone alentour.
Des enfants irradiés
Dans les écoles notamment, la situation n’a rien de rassurant. Des examens médicaux organisés par le gouvernement ont été effectués sur des enfants de moins de 15 ans résidant autour de la centrale. Ils ont révélé que pour 45 % d’entre eux, des éléments radioactifs ont été dépistés dans leur glande thyroïde.
"Chacun doit se procurer ses dosimètres [instruments qui permettent de mesurer la radiation NDLR]", indique Jérôme Courvoisier. "On a beau voir les enfants avec leur appareil de mesure ; tout cela n’est que de la poudre aux yeux", rétorque Stéphane Lhomme, président de l’Observatoire du nucléaire et auteur du livre "L'Insécurité nucléaire". Selon lui, les autorités nient la gravité de la situation.
La décontamination des sols des cours de récréation en est un illustre exemple. "Pour l’instant, la terre contaminée est stockée sous des bâches au fond de l’école car personne ne sait où la stocker", raconte Jérôme Courvoisier.
"Épidémie dramatiques de cancers"
Au-delà du désastre écologique, c'est le drame humain qui se profile. "Ce n’est pas 80 000 mais 200 000 personnes qui auraient dû être évacuées", vitupère Stéphane Lhomme. Une zone de 20 kilomètres de rayon autour de la centrale ainsi que plusieurs autres localités ont été déplacées et demeureront inhabitables durant une ou plusieurs décennies. À l’heure actuelle, les quelque 80 000 évacués sont toujours logés dans des centres d'accueil ou logements préfabriqués. Et d'ajouter : "Le Japon va connaître une épidémie dramatique de cancers. Certes, ça ne se passe pas sous nos yeux, mais ça va arriver dans 5, 8, 10 ou 12 ans".
Stéphane Lhomme estime toutefois que le Japon tirera des leçons de ce drame. "L’industrie nucléaire va probablement mourir dans l'archipel. Cela va prendre des décennies mais il n’y aura plus de nouvelles centrales", prévoit-il. Les autorités semblent prêtes à ne plus construire de nouveaux réacteurs, comme l'a déclaré le nouveau Premier ministre japonais, Yoshihiko Noda, la semaine dernière : "Il y avait 14 réacteurs en projet, mais je pense qu'il est difficile de les construire". il a par ailleurs ajouté qu'il était favorable à la réactivation des unités stoppées, une fois la sécurité assurée. Aujourd’hui, sur un parc de 54 réacteurs nucléaires, les 4/5e sont actuellement arrêtés. Et leur redémarrage sera conditionné à des tests.
Une évolution qui ne se fera cependant pas sans mal. Stéphane Lhomme estime que les industriels risquent de s’accrocher aux centrales existantes, dont la durée de vie est habituellement de 30 ans. "Ils vont tenter de la prolonger à 40 ans, jusqu’à ce que ça explose", prévoit-il.