, envoyée spéciale à Perpignan – Martina Bacigalupo a reçu le prix Canon de la Femme Photojournaliste pour un travail de proximité avec une femme ougandaise de 54 ans ayant enduré les drames de la guerre civile. "Je m'appelle Filda Adoch" est exposé à Visa pour l'Image.
Lorsqu'elle reçoit en 2010, le prix Canon de la Femme Photojournaliste pour le reportage "Je m’appelle Filda Adoch", Martina Bacigalupo ne comprend pas pourquoi une récompense est attribuée spécifiquement à des femmes photojournalistes. Puis elle couvre l’élection présidentielle au Burundi, son pays d’adoption depuis quatre ans, et voit affluer à Bujumbura, la capitale, des journalistes – hommes - du monde entier. Elle prend alors conscience de la place des femmes photoreporters : elles sont minoritaires. Même constat à Perpignan, au festival Visa pour l’Image, où, sur les 23 expositions de photoreportage, seules deux ont été réalisées par des femmes, dont l'une est Martina Bacigalupo.
Cette Italienne née à Gênes et aujourd’hui âgée de 33 ans, vit un peu coupée du circuit des photojournalistes européens qui courent d'une guerre à l'autre. Elle s’est exilée dans un pays qui n'est pas tous les jours sous le regard des médias, le Burundi. Malgré cela, cette jeune femme et son appareil photo sont bénis des dieux. Son travail a obtenu une reconnaissance immédiate et prestigieuse : à peine arrivée au Burundi en 2007 pour une commande de photos financée par l’ONU, elle s’intéresse à Francine, une femme dont les deux avant-bras ont été sectionnés par son beau-frère. Elle porte sur elle un regard artistique, doux, distancé et respectueux. Les photographies intéressent l’agence VU, la voilà entrée dans la cour des grands.
Installée à Bujumbura, initiée à la langue swahili, Martina Bacigalupo réalise des reportages sur des femmes atteintes de fistule à la sortie de la maternité, sur la difficulté des homosexuels à vivre dignement... Alors qu'elle commence une enquête sur les réfugiés d’Afrique de l’Est, en RD Congo, au Kenya, Human Rights Watch lui commande une série en Ouganda, sur ces femmes qui survivent à la guerre civile amorçée au milieu des années 1980. Ce recueil de témoignages éprouvants l’amène à sympathiser avec Filda Adoch, une habitante de la brousse dans le nord de l'Ouganda, âgée de 54 ans.
S’ensuivent trois semaines de cohabitation entre les deux femmes, dans la campagne ougandaise. Filda Adoch habite dans le village d’Along, commune de Paidwe, sous-comté de Bobi, district de Gulu, dans le nord du pays. "Sa vie est une succession de drames qu’elle a toujours réussi à surmonter. C’est une femme forte, incroyable", raconte Martina Bacigalupo, admirative.
Auprès de "son arbre"
Filda Adoch s’est retrouvée au cœur de la guerre civile ougandaise. Son premier mari, soupçonné arbitrairement d’être un rebelle de l’Armée de résistance du Seigneur, a été exécuté, comme tant d’autres hommes du village. Filda finit par refaire sa vie et fonde une nouvelle famille. Mais en 1996, une mine lui broie une jambe. Sept ans plus tard, elle doit partir au camp de déplacés de Bobi : avec ses enfants, ils sont battus et humiliés par les soldats. L’un de ses fils meurt en allant chercher ses résultats scolaires de fin d’année. Filda reviendra dans son village, près de "son arbre", pour s’occuper de ses cinq enfants, de ses dix petits-enfants, de sa mère et de son frère. Elle est aujourd’hui, malgré son handicap physique, le bras nourrissant de sa famille.
"Je suis forte là, j’ai un dos bien musclé". "Là, je rapporte du bois à la maison, mais on dirait que j’ai des ailes sur la tête et que je vole à travers le ciel." Les légendes sont à la première personne, Filda commente elle-même les photographies. Avec Martina, elles les ont choisies ensemble ; Filda s’est observée en photo pour la première fois de sa vie. "Un cliché, sur lequel on la voit se tenir sur le pas de sa maison, avec sa poule et sa vache, a dû figurer dans la sélection : elle y tenait absolument !"
Le passé dramatique de Filda est parfois évoqué. La femme accepte de revenir à l’endroit où elle a perdu sa jambe, sur le chemin où elle a perdu son fils. Mais elle ne souhaite cependant pas commenter davantage. "Ceci est la tombe de mon fils. Je ne veux plus rien dire". Martina Bacigalupo n’insiste pas.
Les photographies de nuit imposent à leur tour le silence et le respect. "Cette femme qui abat plus de travail que n’importe qui de sa famille, recharge son énergie le soir, autour du feu allumé toutes les nuits", raconte la photographe italienne. "C’est là que les vieux racontent les histoires et les devinettes, transmettent les danses aux plus jeunes, et les clés pour comprendre les événements de la vie" (écouter le sonore).
Au milieu de reportages de guerre, d’explosions sanglantes et de larmes implorantes, exposés en grand nombre à Visa pour l’Image, et alors que l’Ouganda ne rapporte habituellement que des clichés de souffrance, le travail de Martina Bacigalupo ose montrer l’humour, la vie, la relation amicale d'une photographe avec son sujet. C’est peut-être en cela aussi qu’elle est un peu coupée du métier de photojournaliste, tel qu’il est porté par beaucoup de reporters. Ce qui convient très bien à Martina Bacigalupo. Et aux festivaliers.