
Alors que les images d’émeutiers se répandent à grande vitesse sur les réseaux sociaux, l’envoyé spécial de France 24 Mehdi Chebil est parti à la rencontre de jeunes issus des milieux défavorisés de Manchester. Reportage.
À regarder les journaux télévisés britanniques, on en viendrait presque à croire que tout le pays est à leur recherche. Car les émeutiers sont partout, leurs photos étalées à la Une des journaux, diffusées sur Internet, tweetées et retweetées sur les réseaux sociaux. En descendant prendre mon (détestable) café du matin dans un bar du centre-ville - victime lui aussi des pillages -, je m’attendais presque à voir des affiches "Wanted dead or alive" ("Recherché, mort ou vif") sur lesquelles viendraient se greffer les images de mauvaise qualité filmées par les caméras de vidéosurveillance.
Au Royaume-Uni, où des millions de caméras surveillent la rue et les magasins, il est presque impossible de passer inaperçu. Un système de surveillance important qui a d’ailleurs permis à la police britannique d’arrêter, jeudi, l’un des émeutiers soupçonné d’avoir racketté un homme blessé après avoir prétendu l’aider.
Cette atmosphère de chasse aux sorcières complique ma mission du jour : interviewer une personne ayant participé aux émeutes à Manchester. Pour la trouver, plusieurs indices me conduisent dans la banlieue de Salford, au sud de Manchester. Dans la nuit de mardi, un important centre commercial y a été attaqué et une douzaine de magasins aux alentours pillés. C’est également le seul quartier où j’ai vu la police mettre son équipement "anti-émeute" pour effectuer ses tours de garde.
Le "charme" des banlieues mancuniennes
Comparées aux sinistres banlieues françaises à l’architecture d'inspiration stalinienne, les petites maisons en briques rouge de Salford ont un charme notable. Signe de mixité sociale, les pavillons résidentiels sur Liverpool Road concurrencent, avec leurs jardinets bien taillés, les barres d’immeubles décrépits du trottoir d’en face.
Mon taxi s’enfonce dans les ruelles désertes et ralentit à chaque fois que nous rencontrons un groupe de jeunes. Certains, sûrement en raison de leur tenue vestimentaire, pourraient être confondus avec des émeutiers, mais aucun n’adopte le comportement arrogant dont ont témoigné de nombreuses vidéos. Mon intention est de discuter avec eux de l’atmosphère délétère qui règne dans les rues de la ville, avant de leur demander s’ils ont été témoins des pillages ou s’ils y ont participé.
Hélas, le fait de me présenter comme journaliste fait fuir mes interlocuteurs. Quant à essayer de les prendre en photo, impossible. La chasse aux sorcières a fait des ravages. À Salford, certains gamins peuvent être assez agressifs. Trois jeunes filles, d’une douzaine d’années, hurlent à plein poumon leur haine de la police tandis que je m’approche d’elles.
Chômage galopant et nombre élevé de mères célibataires
"Les flics sont des putains de cons. De vraies pourritures. C’est pour ça que les émeutes ont éclaté. C’est le message que nous voulons faire passer !" Il semble clair que l’émeutier moyen ne va pas justifier ses actes par un argumentaire structuré, prenant en compte le chômage galopant et le pourcentage de mères célibataires du quartier.
Plusieurs jeunes d’une vingtaine d’années affirment "avoir été sur les lieux" des émeutes sans y avoir pris part pour autant. Mais aucun ne croit à la théorie du "ras-le-bol social." "Quand l’opportunité de voler se présente, tu la saisis ! C’est chacun pour soi ! Tout ça n’a rien à voir avec la politique", confie un jeune de 19 ans, en survêtement gris à capuche. Pas très poussée comme réflexion, il faudra que je m'en contente.
Je finis par tomber sur Daniel, 22 ans. Cet émeutier est tellement parano à l’idée d’être identifié qu’il n'accepte la possibilité d’une interview que si elle se fait via une tierce personne et par téléphone.
Cette même tierce personne me prévient de ne pas traîner trop longtemps dans le quartier. "Quand les journalistes débarquent ici, ils sont violentés, voire passés à tabac. Leur voiture est bousillée puis incendiée au milieu de la rue." Heureusement, le chauffeur du taxi n’a rien entendu.