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Le Bout du Monde, terre de rencontres

, envoyée spéciale à Crozon – Au Bout du Monde, qui dit métissage dit rencontres. Parmi les plus lumineuses de la 12e édition du festival : celle de l’Angolais Bonga et du Français Bernard Lavilliers mais aussi celle des Maliens et des Cubains d’Afrocubism.

Bonga-Lavilliers, 40 ans d’amitié

L’Angolais Bonga et le Français Lavilliers se connaissent depuis presque 40 ans. Mais c’est la première fois qu’ils unissent leurs talents. Dans sa petite loge du Bout du Monde, un festival de musiques du monde qui s’est tenu le week-end dernier à l’extrême ouest de la Bretagne, Bernard Lavilliers - son éternelle boucle à l’oreille et son blouson de cuir élimé sur le dos - raconte leur rencontre avec force digressions et parenthèses, de celles qui pourraient transformer une interview de dix minutes en une après-midi de bavardages si son coriace manager ne veillait au grain.

"On s’est rencontré dans un cabaret à Paris, raconte Bernard Lavilliers, le bras appuyé sur sa guitare. Un cabaret franco-brésilien assez mal famé qui s’appelait le Discophage, où traînaient quelques bandits. L'ambiance était enfumée. Il y avait 50 places au maximum. J’étais le seul Français à chanter là-dedans. C’est là qu’on est devenu potes, avec Bonga." C’était en 1973. "Bonga, quand je l’ai connu, s’était exilé, à cause de la guerre en Angola. Il a d’abord été à Lisbonne, puis à Paris. Ensuite, il est retourné au Portugal, mais je le voyais régulièrement", poursuit le chanteur, ponctuant son récit d’accords grattés sur sa guitare.

Bonga et Lavilliers ont en commun d’avoir vécu 15 vies différentes. Bernard Lavilliers a roulé sa bosse aux quatre coins du monde, notamment en Amérique latine et en Afrique. Il a été apprenti métallo, videur de boite à Rio, chauffeur sur les routes brésiliennes, docker, militaire insoumis, chanteur rebelle…

De trois ans son aîné, Bonga a, lui, été athlète - champion du 400 m - , porte-parole du mouvement d’indépendance de l’Angola encore sous la tutelle du Portugal de Salazar, condamné à l’exil, réfugié aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, en Belgique, puis finalement sacré Chevalier des arts et des lettres dans son pays d’origine. Depuis l’âge de 15 ans, il écrit et compose. Il a sorti 25 albums.

"‘Angola’ [le titre phare de "Causes perdues et musiques tropicales", le dernier album de Bernard Lavilliers, NDLR] , cette chanson symbolique, je la trainais depuis 1973, poursuit Lavilliers. Je me disais : ‘Il faut que je fasse quelque chose avec Bonga. Avec sa voix éraillée et la mienne et cette chanson qu’il chantait dans ce cabaret où nous nous sommes rencontrés'. Finalement, il y a deux ou trois ans, nous nous sommes retrouvés à Lisbonne. Je lui ai dit : ‘Traduis-moi ce texte que tu as écrit en dialecte angolais’. ‘C’est l’histoire, me dit-il, de quelqu’un qui s’en va. La maison brûle, il y a la guerre, il est obligé de partir en laissant tout derrière lui’. Il ne m’en a pas dit beaucoup plus. Et moi, j’ai imaginé un texte et une musique à partir de ce thème."

La rencontre entre les deux artistes s’est exprimée de façon lumineuse lors de cette 12e édition du Bout du Monde. Les deux amis se sont retrouvés sur scène pour interpréter leur envoûtant "Angola". Une collaboration qui a fait souffler un vent rafraîchissant sur le répertoire du vieux briscard de la scène française. 

Afrocubism, chronique d’un rendez-vous manqué

La rencontre des Maliens et des Cubains d’Afrocubism n’est que la suite logique d’une longue et tumultueuse histoire commencée à la fin des années 1990. Celle du Buena Vista Social Club - un groupe de talentueux Cubains qui a donné lieu à un album et à un film maintes fois primé - dont l’objectif initial était de réunir la crème des musiciens cubains et ouest-africains. mais les Africains sont restés bloqués à la frontière à cause d’un problème de visa. Une bureaucratie lente et compliquée a achevé de leur faire manquer le rendez-vous musical à La Havane et l’album du Buena Vista Social Club s’est finalement fait sans eux. Le groupe Afrocubism, lui, rattrape le temps perdu. Eliades Ochoa, le chanteur-guitariste, dernière star vivante du Buena Vista Social Club, Bassekou Kouyaté, maître du luth ngoni, et Toumani Diabaté, génie de la kora, un intrument mandingue, racontent leur aventure.

"On avait rendez-vous depuis 14 ans, commence le Cubain Eliades Ochoa. À l’origine, c’était ce que devait être le Buena Vista Social Club. Ça n’a pas été possible à ce moment-là, mais c’est quelque chose qu’il fallait faire. Il fallait se retrouver. En 2008, Toumani [Diabaté] et moi, on s’est vu dans un hôtel en Hollande, et ça a fait accélérer les choses. C’est comme ça qu’on a réussi." Malgré le succès de leur projet, Éliades Ochoa affiche un air grave, derrière ses lunettes sombres et sous son sombrero cubain qu’il ne quitte pas.

À ses côtés, Bassekou Kouyaté sourit, visiblement ravi de se trouver là, au Bout du Monde. Il aurait dû rejoindre le Buena Vista Social Club en 1997. Aujourd'hui encore, il semble ne pas avoir tout à fait digéré les "petits problèmes politiques" qui lui ont fait manquer le rendez-vous. "Ça m’a touché parce que je n’ai pas pu jouer sur cet album. J’ai été vraiment très triste... Plus de 10 millions d’exemplaires vendus ! J’aurais dû jouer avec eux. C’était il y a 14 ans, j’étais encore tout jeune", regrette-t-il. "Mais Afrocubism, c’est encore mieux que le projet initial du Buena Vista Social Club parce que d’avantage de Maliens jouent, assure-t-il. On a trouvé un parfait équilibre entre influence malienne et influence cubaine. Afrocubism, c’est 50 % de musique cubaine, 50 % de musique malienne".

Pour Toumani Diabaté, enroulé dans une grande chemise violette, Afrocubism est avant tout une "union musicale évidente". "S’il y a une chose que le Mali et Cuba partagent, explique-t-il, c’est qu’ils font tous les deux partie des pays les plus pauvres du monde, financièrement parlant. Mais ils sont en même temps parmi les pays les plus riches du monde, culturellement parlant". Ils l’ont prouvé ce week-end sur la grande scène du Bout du Monde. Rythmes et harmonies caribéennes et africaines, loin d’un mariage forcé, se sont parfaitement rencontrés, formant un langage musical inédit et sans frontières.