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Voyage musical déjanté au Bout du Monde

, envoyée spéciale à Crozon – De la Norvège à la République démocratique du Congo, la 12e édition – très métissée – du festival du Bout du Monde a ouvert ses portes le 5 août. Artistes déjantés et ambiance délurée dans une prairie de l’extrême ouest de la Bretagne.

La presqu’île de Crozon et ses criques balayées par les vents atlantiques, à l’extrême ouest de la Bretagne, est depuis vendredi en proie à une effervescence inhabituelle. Sur les petites routes départementales qui desservent les communes de Crozon et Camaret-sur-mer, une légion de cyclistes pédalent, des dizaines d’auto-stoppeurs tendent le pouce et des centaines de voitures s’engouffrent dans les chemins de terre qui mènent à la prairie de Landaoudec, une large étendue d’herbe bordée d’arbres, d’ordinaire si calme, sur laquelle ont été installées trois grandes scènes. C’est là que le festival du Bout du Monde a ouvert ses portes vendredi, sous un soleil radieux.

Les onze Roumains de la fanfare Ciocarlia, un mélange déluré de sonorités balkanique-tsigane et ottomane – selon leurs propres mots, met le feu dès les premières notes de trompette. Chemises kitsch en satin rouge, exubérance bruyante et tronches de bon vivant : les musiciens semblent tout droit sortis d’un film du réalisateur serbe Emir Kusturica.

Finie l’ambiance "petite promenade en famille" face à la grande scène. La foule s’agglutine en un amas compact et sautillant, devant la fanfare autoproclamée "la plus rapide de l’Est". La foule se densifie petit à petit. Il est bientôt impossible d’approcher les musiciens. Les familles se sont réfugiées un peu plus loin : là où un bout de pelouse leur permet de déplier les chaises longues, d’étaler des plaids et de parquer les poussettes.

De fanfare balkanique au folk franco-américain

Puis Moriarty débarque, dépose sa montagne de valises à Landaoudec. Ses notes chaudes et la voix envoûtante de la chanteuse Rosemary ont quelque chose d’apaisant après les cuivres endiablés de la fanfare roumaine. Instants de magie où les musiciens franco-américains entonnent leur planante chanson "cottonflower", scènes de liesse quand les premières notes de "Jimmy" sonnent sur la prairie. Quelques familles délaissent même leur coin d’herbe pour se rapprocher de la scène. "On peut pas louper ça", explique Fanny, en enfonçant des bouchons dans les oreilles de sa fille, et en dépliant deux petits tabourets "pour mieux voir".

Juste à côté, une très jeune femme, visiblement sous le charme du guitariste du groupe, un grand châtain au regard doux, lâche enfin le cri qu’elle retenait depuis le début du concert. "Stéphaaaaaaane !!", hurle-t-elle, avant de s'arrêter net, assaillie d'un doute affreux. Se tournant vers sa copine, le regard anxieux, elle demande : "C’est bien Stéphane celui que je trouve beau ?". Raté, lui c’est Arthur.

Les huit Congolais handicapés enflamment le site

Le folk aux accents cajun de Moriarty laisse place aux huit Congolais de Staff Benda Bilili, incarnation vivante de la "succes story". Tous – ou presque – sont atteints de poliomyélite. Ils débarquent sur la scène en chaise roulante, au mieux avec des béquilles. Sourires jusqu’aux oreilles et virtuoses touche-à-tout, ils mélangent rumba, soul, funk et ragga, parodient James Brown… Leur énergie débordante fait des émules : la foule jeune, chevelue et sautillante se reforme. Au Bout du Monde, ils étaient attendus de pied ferme. C'est que leur petite réputation les précède… Originaires de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, ils vivaient de trafic en tout genre et dormaient dans le zoo de la ville avant d'accéder à la célébrité. Ils donnent désormais des concerts un peu partout en Europe.

À droite de la prairie, dans l’espace surélevé réservé aux personnes handicapées, une quinquagénaire en fauteuil en reste baba. "Je les avais vus dans un documentaire, au cinéma. Mais de les voir en chair et en os, c’est autre chose. C’est extraordinaire. Toute cette énergie !", s’extasie-t-elle. Et c’est vrai. Leur charisme et leur enthousiasme gagnent toute la prairie de Landaoudec. Les huit Congolais sont bluffants, leur musique sent la bonne humeur et leur patate fait chavirer le cœur des festivaliers.

Autre révélation : les quatre princesses-punk norvégiennes de Katzenjammer. Au jeu du groupe le plus déjanté, elles gagnent incontestablement. Le quatuor, accompagné d’instruments aussi loufoques que leurs chansons, fonctionne, et plutôt bien. Vendredi, elles ont fait deux concerts au Bout du Monde, à seulement quatre heures d’intervalle. Et, chaque fois, les festivaliers ont répondu présent, prenant un malin plaisir à entrer dans le délire des quatre Norvégiennes. Personne ne s’est étonné qu’au beau milieu d’un déchaînement de sons, le silence se fasse et que les quatre chanteuses entonnent un improbable: "Alouette, gentille alouette. Alouette, je te plumerai", repris en cœur par la foule. Ici, décidémment, le mélange des genres fait des miracles.