logo

Le procès tardif d'un Khmer rouge s'ouvre à Phnom Penh

Kaing Guek Eav est le premier haut dirigeant Khmer rouge à répondre de ses actes devant la justice internationale. Il était le directeur du centre d'interrogatoires S-21, où plus de 15 000 personnes périrent. Son procès débute le 17 février.

Procès historique d’un "criminel de guerre ordinaire" ou justice tardive pour un bourreau hors-norme ? Les avis sur l’importance dans la machine Khmer rouge de Kaing Guek Eav, surnommé "Douch" (prononcez "Doïk"), divergent, tout comme ceux sur la valeur de son procès qui s’ouvre le 17 février devant les CECC (Chambres extraordinaires des cours du Cambodge), tribunal hybride installé à Phnom Penh et soutenu par les Nations unies.
 

Trente ans après la chute du régime meurtrier de Pol Pot (1975-1979), la comparution de celui qui a dirigé pendant deux ans le centre d'interrogatoires Tuol Sleng, aussi appelé S-21, est le coup d’envoi d’une série de procès internationaux qui se veulent les héritiers de Nuremberg, des TPI pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. "Douch" est le premier haut responsable Khmer rouge à répondre de ses actes devant la justice internationale. Il est poursuivi (PDF en anglais) pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, viols et actes de torture. Près de 16 000 personnes ont été internées dans le centre de détention qu’il dirigeait et seulement entre 10 et 14 prisonniers ont survécu. "Son témoignage est essentiel pour corroborer nos connaissances qui sont encore très académiques", explique à FRANCE 24 Beth Van Schaack, professeur associé de droit à l'université de Santa Clara et auteure de "Juger les Khmers rouge".
 

"Ses remords sont inédits"
 

Lorsque cet ancien instituteur de 66 ans a été retrouvé, il était passé du "polpotisme" ardent au christianisme repentant. Des cinq dirigeants Khmers rouge à être poursuivis devant les CECC, il est le seul à avoir reconnu ses crimes. "Il va plaider coupable et les preuves sont accablantes, il devrait être condamné à la prison à vie", explique Beth Van Schaack. "Sa personnalité intrigue, son revirement spirituel et ses remords sont inédits", poursuit-elle.
 

Mais d’autres relativisent l’importance de ce procès. "Il n’y a pas de grandes surprises à attendre, il a avoué, l’affaire devrait être réglée en quelques jours", résume Peter Maguire, auteur de "Facing death in Cambodia", et l’un des premiers étrangers à avoir visité le centre d'interrogatoires S-21. Pour lui, Kaing Guek Eav est "méticuleux, académique et très organisé, un criminel de guerre ordinaire". Rien à voir avec Khieu Samphan, Président du Présidium d'État du Cambodge et fondateur de l’Anghkar - l’organe suprême du régime des Khmers rouge -, actuellement en attente de son procès. Tout le monde attend cependant que "Douch" apporte de l’eau au moulin des procureurs pour asseoir l’accusation contre les autres prévenus. "On peut espérer que ce soit une bonne mise en bouche", confirme Peter Maguire.
 

Le tribunal lui-même fait l’objet de débats. Beth Van Schaack résume l’opinion générale : "Ce genre de justice est un élément important de tout travail de transition politique." Le problème est qu’une part importante de Cambodgiens n’a pas conscience de l’événement. "Le niveau d’éducation de la population n’est pas très élevé et pour la majorité réussir à avoir deux repas par jour est autrement plus important", tempère Peter Maguire. Tout se passe comme si la communauté internationale se réjouit d’avoir enfin réussi à mettre en place ce tribunal, tandis que les Cambodgiens ont des priorités plus urgentes à régler.