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Quelles répercussions pourrait avoir le ramadan sur le printemps arabe ?

Le jeûne n'empêchera pas les rebelles libyens de continuer à se battre, ni les manifestants syriens de se rassembler : le ramadan, qui commence début août, risque de provoquer un regain de mobilisation des opposants dans l'ensemble du monde arabe.

Depuis plus de quatre mois, le régime syrien réprime violemment des manifestations qui ne cessent de prendre de l'ampleur. Depuis quatre mois également, la communauté internationale bombarde la Libye alors que les rebelles s'opposent, sur le terrain, aux forces loyales à Mouammar Kadhafi. En Égypte, malgré un remaniement ministériel, les manifestants occupent de nouveau la place Tahrir du Caire. Alors qu'aucune issue ne semble se dessiner à court terme dans le monde arabe, le ramadan, qui commence dans moins de 10 jours, pourrait accroître la pression sur les régimes en place.

"Je pense que le mois d'août va être agité, affirme Mohamed Ajlani, professeur de sciences politiques et de relations internationales, anciennement en poste à l'université de Kalamoune, à Damas. Cette période devrait jouer en faveur des manifestants."

"Ce sera vendredi tous les jours"

Le ramadan est un mois saint sur le calendrier musulman, au cours duquel les croyants s'abstiennent de boire et de manger du lever au coucher du soleil. C'est une période où les musulmans sont appelés à se purifier spirituellement - en se rendant, notamment, régulièrement à la mosquée. En Syrie, ces lieux de culte sont devenus un point de ralliement pour les opposants au régime de Bachar al-Assad. "Le mois du ramadan, où les rassemblements à la mosquée (et donc les manifestations) seront quotidiens, sera décisif pour la Syrie", pronostique le directeur du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient à Beyrouth, Paul Salem.

Pour les leaders de la contestation, ce pourrait "être vendredi [le jour traditionnel de mobilisation, après la grande prière, NDLR] tous les jours", selon Paul Salem. "La révolution va se poursuivre pendant le ramadan, et peut-être même va-t-elle se durcir. En tout cas, je ne vois pas comment ni par quel miracle elle pourrait faiblir", confirme Ali Sadreddine al-Bayanouni, leader des Frères musulmans syriens de 1996 à 2010, aujourd'hui installé à Londres. Pourquoi ? "Parce qu’il y a eu trop de morts et parce que la répression a été aveugle, démesurée, dépassant tout entendement."

Le pouvoir syrien pourrait, au cours de cette période, essayer d’accroître son contrôle sur les mosquées et sur les leaders des mouvements islamistes. "Il va peut-être également essayer de contrôler le prix des produits de base qui augmentent traditionnellement lors du ramadan, indique Mohamed Ajlani. Mais le régime a déjà énormément dépensé pour augmenter les salaires des fonctionnaires... Il est conscient que cette période représente un danger supplémentaire."

Signe de cette inquiétude du pouvoir, le ministre syrien des Affaires religieuses, Mohammad Abdul-Sattar al-Sayyed, a dénoncé jeudi la "mauvaise utilisation" des lieux de culte. Les mosquées sont des endroits dédiés à la paix et à la prière et non au "rassemblement de corrupteurs et de saboteurs", a-t-il affirmé, tout en appelant la société à coopérer avec le clergé pour "contribuer au programme de réforme".

Mohamed Ajlani a quant à lui une autre source d'inquiétude : une partie de la population syrienne - les chrétiens, mais aussi certains alaouites - ne pratique pas le jeûne. Le ramadan ne risque-t-il pas de conduire à une division entre les différentes communautés ? D'autant plus que le pouvoir dénonce, depuis des mois, le risque de violences sectaires, en particulier entre les sunnites, majoritaires dans le pays, et les alaouites. "Jusqu'à présent, les manifestants ont su éviter toute dérive religieuse ou confessionnelle du mouvement de contestation. J'espère que cette période ne provoquera pas une fissure dans leurs rangs", explique Mohamed Ajlani.

Les rebelles libyens continueront à se battre

En Libye, les voeux du vice-ministre des Affaires étrangères Khaled Kaïm, qui estimait début juillet qu'un règlement du conflit serait trouvé d'ici le début du ramadan, devraient rester pieux. Mouammar Kadhafi a exclu jeudi toute négociation avec les insurgés sur l'avenir du pays. Les rebelles devraient continuer à se battre, malgré le jeûne et la chaleur.

"Le ramadan est une période d'élan islamique de sacrifice, qui appelle au jihad, c'est-à-dire à un combat juste contre les oppresseurs, contre ceux qui usurpent vos droits, indique Mohamed Ajlani. Les insurgés ont prouvé qu'ils étaient motivés et qu'ils n'avaient pas peur des balles." "La lutte du peuple contre le régime de Mouammar Kadhafi est juste et légitime, ajoute Ali Sadreddine al-Bayanouni. Les révolutionnaires ne vont pas abandonner leur engagement en faveur d’une Libye libre."

Afin de poursuivre leur lutte, les combattants pourraient même être dispensés de jeûne. Selon Tahar Aljdea, le cheikh de ZintAn, une ville aux mains des rebelles située dans l'ouest du pays, ils auront le droit de manger. "Le Coran dit : 'ne vous tuez pas, Dieu vous pardonnera'", rappelle Tahar Aljdea. "Si c'est la guerre et que nous sommes fatigués, nous mangerons. Si nous restons en position défensive, nous jeûnerons. Dieu est avec nous", indique aussi Hatem Aljadi, un jeune combattant de Goualich, dans l'ouest, cité par l'AFP.

L'Otan a en tout cas déjà fait savoir qu'elle pourrait poursuivre ses frappes sur le pays au mois d'août. "Il faut attendre de voir si les forces de Mouammar Kadhafi continuent à bombarder et à frapper le peuple libyen, a indiqué le 13 juillet Mike Bracken, le porte-parole de l'Alliance atlantique. Si elles le font et si nous pensons qu'il y a un risque pour la vie d'hommes, de femmes et d'enfants, je pense qu'il sera tout à fait approprié de continuer à protéger ces vies." Une ligne de conduite confirmée par le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé : "Les représentants de plusieurs pays musulmans nous ont clairement indiqué qu'il n'y avait pas de contre-indication entre la période de ramadan et la poursuite des opérations visant à protéger les populations civiles", a-t-il déclaré le 15 juillet.

En Égypte, où des manifestants campent place Tahrir du Caire pour réclamer de nouvelles réformes, ou encore au Yémen, où le mouvement d'opposition au régime d'Ali Abdallah Saleh a récemment perdu de la vigueur, le ramadan pourrait là aussi provoquer un regain de contestation. Les régimes en place ont des raisons de s'inquiéter à l'approche du mois d'août.