Les Nations unies exhortent le Sénégal à revenir sur sa décision de renvoyer l'ex-président tchadien Hissène Habré (1982-1990) dans son pays, estimant que les conditions pour qu'il y bénéficie d'un procès équitable ne sont pas réunies.
AFP - La Haut commissaire de l'ONU aux droits de l'homme a exhorté dimanche le Sénégal à revoir sa décision de renvoyer lundi dans son pays l'ex-président tchadien Hissène Habré, poursuivi pour crimes contre l'humanité, une demande de l'ONU saluée par les victimes.
"J'exhorte le gouvernement du Sénégal à revoir sa décision. En tant que partie à la Convention contre la torture, le Sénégal ne peut extrader une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu'il serait en danger d'être soumis à la torture", a affirmé Navi Pillay dans un communiqué depuis Genève.
"En tout état de cause, le Sénégal devrait obtenir des garanties d'un procès équitable par les autorités tchadiennes avant toute extradition", a-t-elle ajouté.
Mme Pillay a souligné qu'il était essentiel que M. Habré bénéficie de procédures régulières et ait le droit à un procès équitable.
Mais "dans les circonstances actuelles, dans lesquelles ces garanties ne sont pas encore en place, l'extradition de Hissène Habré pourrait constituer une violation du droit international", a insisté la Haut commissaire.
A N'Djamena, aucune réaction des autorités n'était disponible dimanche, mais Clément Abayefouta, président de l'Association des victimes contre la répression politique (AVRP), qui regroupe les victimes du régime d'Hissène Habré, a salué les déclarations de l'ONU.
"Nous ne pouvons qu'apprécier cette position des Nations unies. Le Sénégal avait pris l'engagement de garder Hissène Habré chez lui jusqu'à son jugement. Ce rebond en arrière du Sénégal ne peut qu'inquiéter les organisations internationales. Le Sénégal a tout intérêt à garder Hissène Habré jusqu'à ce qu'il soit jugé légalement", a-t-il déclaré à l'AFP.
Dans un communiqué commun diffusé par Human Rights Watch (HRW) depuis Bruxelles, plusieurs associations de victimes et de défense de Droits de l'homme, militent pour un jugement en Belgique.
"En 2006, le Comité des Nations unies contre la torture (...) avait enjoint (le Sénégal) à juger Habré ou, à défaut, à l'extrader vers la Belgique qui en a fait la demande, ou enfin de faire droit à +toute autre demande d'extradition émanant d'un autre État en conformité avec les dispositions de la Convention+. Or, le Tchad n'a jamais fait de demande d'extradition", selon le texte.
La Belgique, solution "la plus réaliste"
"Le jugement de Habré au Sénégal ou son extradition vers la Belgique constituent les seules options juridiquement envisageables", estiment les ONG.
"Au regard des obstacles en série posés par le gouvernement sénégalais depuis l’inculpation de Habré (...) il y a onze longues années, la Belgique est aujourd'hui la solution la plus tangible, la plus réaliste et la plus opportune pour s'assurer que Hissène Habré réponde des accusations portées contre lui dans le cadre d'un procès juste et équitable dans des délais raisonnables", selon le communiqué.
Depuis vendredi, le flou règne sur ce qu'il adviendra à Hissène Habré, réfugié au Sénégal depuis sa chute en 1990 et poursuivi pour crimes contre l'humanité, qui doit arriver lundi à N'Djamena par un vol spécial.
"Normalement, il sera pris en charge à son arrivée à l'aéroport et emmené à un juge d'instruction qui l'inculpera et le placera sous mandat de dépôt", a affirmé samedi une source judiciaire.
En 2006, répondant à une demande de l'Union Africaine, le Sénégal avait accepté, "au nom de l'Afrique", de juger sur son territoire l'ancien président tchadien pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de torture commis pendant ses huit ans de règne (1982-1990).
Après avoir tergiversé pendant des années, Dakar a décidé vendredi de renvoyer à N'Djaména l'ancien président, se justifiant par la nécessité de se conformer à la demande de l'UA qui prévoyait de "le juger ou l'extrader".
Habré avait été renversé par l'actuel président tchadien Idriss Deby Itno qui après avoir été un proche d'Habré avait été accusé de complot et avait fui le Tchad en 1989 pour fonder sa rébellion et renverser son ennemi en 1990.