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Vingt ans après la fin de l'apartheid, le chemin vers la réconciliation reste semé d'embûches

Le 30 juin 1991, l’Afrique du Sud abolissaient la ségrégation raciale. Mais, aujourd'hui, les tensions raciales restent d’actualité, comme l'illustre la popularité du bouillonnant leader des jeunes du Congrès national africain (ANC).

L'Afrique du Sud fêtait ce jeudi les 20 ans de la disparition du système de ségrégation raciale qui était en vigueur depuis 1910. Mais 20 ans après la fin de l’apartheid, la réconciliation nationale reste d’actualité dans le pays. À la mi-juin, le leader de la Ligue des jeunes du Congrès national africain (ANC), Julius Malema, a été réélu à la tête de ce mouvement fondé, entre autres, par Nelson Mandela en 1945. Son programme, énoncé quelques jours avant sa reconduction : nationalisation des mines du pays et reprise par la force des terres appartenant aux quelque 45 000 fermiers blancs du pays, comme ce fut le cas au Zimbabwe voisin de Robert Mugabe.

Aujourd’hui, ce discours trouve un écho dans la frange la plus pauvre de la population noire du pays, animée d’un esprit de revanche sur l’ancien oppresseur. "L’apartheid, qui a duré près de 90 ans, a laissé des traces profondes dans la société, explique Samba Alassane Thiam, militant de la Ligue des jeunes de l’ANC, contacté par les Observateurs de FRANCE 24. Notre peuple, même dans 100 ans, n’aura pas oublié ce système conçu pour enrichir les Blancs et oppressé les Noirs."

Julius Malema, vrai danger politique ? "C’est avant tout un populiste, relève Marianne Séverin, chercheuse associée au Centre d'étude d'Afrique noire (CEAN), de Science-Po Bordeaux et spécialiste des leaders de l’ANC. Il a fait fortune dans le bâtiment et appartient maintenant à un milieu social à mille lieues des populations noires et pauvres des townships dans lesquelles son discours trouve un écho. Quand il a parlé de reprendre les terres aux fermiers blancs, il était en pleine campagne électorale pour sa réélection. Il est vrai que les dirigeants de la Ligue des jeunes de l’ANC ont pour habitude de tenir des discours virulents. Mais, à mon sens, Malema est plus dangereux que ses prédécesseurs car la maison mère, l’ANC, n’arrive pas à le neutraliser."

À 30 ans, le turbulent Malema a en effet pris un tel poids politique qu’il se permet désormais de critiquer son mentor, l’actuel président Jacob Zuma, l’accusant de ne pas aller assez loin dans les réformes agraires comme celles entreprises au Zimbabwe.

"Difficile de séparer les problèmes sociaux des problèmes raciaux"

Dans ce contexte, "les 20 ans de la fin de l’apartheid ne sont pas du tout célébrés en Afrique du Sud, indique Mark Gevisser, journaliste sud-africain invité de l’Entretien de France 24. C’est vrai que, vu de l’extérieur, on a l’impression que ce jour marque l’apothéose d’un conte de fées. Mais, en Afrique du Sud, le 30 juin 1991 est considéré comme une simple étape sur le chemin tortueux qui mène à la paix et à la prospérité."

Le 30 juin 1991, le président Frederik de Klerk abrogeait le cadre juridique de l'apartheid, ainsi que la loi de 1913 sur la terre, celle de 1966 sur les groupes raciaux, celle de 1984 sur le développement des collectivités noires, et d'autres textes qui y consacraient la séparation des Blancs et des Noirs. Ce jour marquait ainsi le début d’une nouvelle ère pour la nation "arc-en-ciel", dont l’emblématique Nelson Mandela, qui a dédié sa vie à combattre le système, allait devenir le premier président noir, trois ans plus tard.

Mais aujourd’hui le pays n’a pas la tête à commémorer cette date. "48 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, le chômage ne se résorbe pas et les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres se creusent", rappelle Mark Gevisser. Et, puisqu’il est "difficile de séparer les problèmes sociaux des problèmes raciaux", comme le note le journaliste sud-africain, le pays est régulièrement secoué par des regains de tensions xénophobes.

En avril 2010, l’assassinat de l’ex-leader d'extrême droite pro-apartheid Eugene Terre’blanche avait poussé le président Jacob Zuma a appelé publiquement au "calme" face aux craintes de violences. En juin 2008, au moins 60 personnes, des nouveaux arrivants aussi bien que des immigrés installés de longue date, ont trouvé la mort dans une vague d’attaques xénophobes.

Un boulevard pour Malema ? Le journaliste Mark Gevisser n’y croit pas : "si les mesures post-apartheid n’ont pas résolu tous les problèmes, elles ont au moins eu le mérite de forger une véritable culture démocratique en Afrique du Sud. Les élections municipales, en mai 2011, se sont déroulées dans le calme. C’est ce genre d’exemple qui me fait dire qu’il ne pourra pas prendre le pouvoir en appelant à la violence. Même s’il faut rester prudent…"