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"Damas n'a pas besoin de Téhéran pour écraser les manifestants"

Les sanctions européennes visent désormais des responsables iraniens pour déstabiliser le régime syrien. Cette alliance entre les deux puissances est ancienne, et Téhéran n'a aucun intérêt à perdre son interlocuteur, rappelle François Géré.

Un peu plus de 100 jours après le début du mouvement de contestation en Syrie, dont la répression aurait fait plus 1 300 victimes civiles, de nouvelles sanctions européennes contre le régime de Damas sont entrées en vigueur ce vendredi. Parmi les sept personnes visées par ces dispositions figurent, pour la première fois, plusieurs personnalités iraniennes : le commandant en chef des Gardiens de la Révolution - les Pasdaran -, le général Mohammad Ali Jafari, ainsi que ses deux adjoints.

Le corps des Pasdaran constitue une véritable organisation paramilitaire placée sous le contrôle direct du Guide de la révolution, Ali Khamenei, et dispose d'une influence réelle en Syrie. "Il est inacceptable que le gouvernement iranien fournisse des équipements et des conseils techniques pour aider le régime syrien à mater les protestations", a indiqué à l'AFP un diplomate européen.

Mi-juin, la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton avait dénoncé le "soutien" de l'Iran aux "attaques brutales du régime de Bachar al-Assad contre des manifestants pacifiques". Des officiels américains, cités par le "Washington Post" fin mai, ont également accusé Téhéran d'envoyer en Syrie non seulement des armes et du matériel anti-émeutes, mais aussi des formateurs, des conseillers et des instruments de surveillance sophistiqués destinés à traquer, sur Facebook ou sur Twitter, les opposants au régime.

Paris, Londres et Washington ont également tenté d'obtenir ce jeudi la publication par le Conseil de sécurité des Nations unies d'un rapport, réalisé par des experts indépendants, qui accuse Téhéran de violer l'embargo sur les armes auquel il est soumis depuis 2007. Les infractions concerneraient essentiellement la livraison d'armes à la Syrie, à destination du Hezbollah libanais et du Hamas palestinien. Moscou et Pékin ont opposé leur veto à la publication de ce document.

Téhéran n'a pas intérêt à la chute du régime syrien

"Le gouvernement iranien a logiquement apporté son soutien diplomatique et éventuellement logistique à Damas, confirme François Géré, directeur de l'Institut français d'analyses stratégiques (IFAS) et spécialiste de l'Iran. Mais au niveau militaire, Téhéran n'a vraiment pas grand chose à fournir au régime syrien. En terme de férocité dans la répression, Bacahr al-Assad s'en sort très bien tout seul. Les opposants ne sont ni armés ni entraînés alors que l'État dispose de services de renseignements et d'une armée. Damas n'a pas besoin de Téhéran pour écraser les manifestants, mais son soutien diplomatique est important."

"Les nouvelles sanctions européennes et américaines à l'égard de l'Iran [Washington a renforcé ses sanctions jeudi, les étendant à la compagnie aérienne nationale Air Iran et à la société Tidewater Middle East, qui gère 7 ports, NDLR] sont avant tout liées à l'attitude des autorités concernant le dossier nucléaire", ajoute François Géré.

Allié stratégique de Damas depuis plus de 30 ans, Téhéran n'a pas intérêt à une chute du régime de Bachar al-Assad, son plus solide partenaire dans la région. "Effectivement, cela arrange bien les autorités iraniennes que les Alaouites [une branche de l'islam chiite, NDLR] soient au pouvoir à Damas, plutôt que la majorité sunnite, observe François Géré. Il faut aussi prendre en compte le facteur libanais : si l'alliance de Téhéran et Damas était remise en cause, cela affaiblirait la capacité de l'Iran à coopérer avec le Hezbollah au Sud-Liban et réduirait sa capacité d'influence dans la région."

Un scénario qui n'est toutefois pas à l'ordre du jour, estime le chercheur. Alors que le mouvement d'opposition au régime entre dans son quatrième mois de révolte, les autorités syriennes n'envisagent pas de quitter le pouvoir. "Il faudrait que Bachar al-Assad et le parti Baas sautent pour que s'installe un pouvoir radicalement différent, précise François Géré. Ce qui semble peu probable, pour l'instant. Le régime réprime les manifestations violemment. Une fois que la situation sera relativement sous contrôle, il lancera une réforme constitutionnelle pour faire de la place à quelques éléments de l'opposition."

Une solide alliance de plus de 30 ans

Née dans les années 1970 sur la base d'intérêts communs, notamment au Kurdistan et face à la montée en puissance de Saddam Hussein en Irak, l'alliance syro-iranienne a connu des périodes de chaud et de froid. Relativement distendue dans les années 1990, c'est à partir de l'invasion américaine en Irak, en 2003, que l'entente entre les deux États s'est considérablement renforcée. "Les deux États se sentaient tous les deux dans le collimateur, explique François Géré. Juste après l'arrivée des troupes à Bagdad, certains dans l'entourage de George W. Bush ont évoqué l'hypothèse du renversement de Damas. Ca a laissé des traces."

En 2006, les deux États ont signé un traité de défense mutuelle contre leurs "menaces communes" - soit Israël et les États-Unis -, auquel se sont ajoutés d'autres accords militaires, économiques ou diplomatiques.

En renouant le dialogue avec Bachar al-Assad à partir de 2008, les Occidentaux ont espéré affaiblir cette alliance stratégique. Mais si la Syrie est bien sortie de son isolement sur la scène internationale, elle n'en a pas pour autant rompu avec l'Iran. "Cette stratégie n'a absolument pas fonctionné, assure François Géré. Ce n'est qu'une illusion de la diplomatie kouchnérienne [de Bernard Kouchner, ancien ministre français des Affaires étrangères, NDLR]".

Aujourd'hui, par le biais de la Syrie, c'est avant tout avec Ankara que Téhéran se dispute l'influence sur la région. La Turquie a développé au cours des dernières années de très bonnes relations économiques, politiques et diplomatiques avec Damas. Bachar al-Assad et le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan ont d'ailleurs entretenu des rapports amicaux. Membre de l'Otan, la Turquie s'est toutefois vue contrainte de hausser le ton à l'égard de la répression exercée par le régime syrien, dénonçant les "atrocités" commises par Damas. Sans appeler au départ de Bachar al-Assad.

"Nous espérons que la Syrie va parvenir à sortir plus forte de ce processus en se réformant, a affirmé ce vendredi le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu. Nous ferons de notre mieux pour que cela se produise".