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Condamnée à mort pour blasphème, Asia Bibi se défend d'avoir commis "le moindre crime"

Dans un livre-témoignage, la journaliste indépendante Anne-Isabelle Tollet revient sur le cas d'une chrétienne pakistanaise condamnée à la peine capitale pour avoir comparé Jésus au prophète Mahomet. Récit.

"Je n’ai jamais tué, jamais volé… Mais, pour la justice de mon pays, j’ai fait bien pire : je suis une blasphématrice. Le crime des crimes, l’outrage suprême", témoigne Asia Bibi, qui croupit dans une cellule sans fenêtre, à Sheikhupura, une ville de la province du Penjab, dans l’est du Pakistan. Elle a été condamnée en novembre 2010 à la peine capitale pour blasphème et attend que la Haute Cour de Lahore confirme ou infirme la peine.

Les faits remontent à juin 2009. Selon le témoignage recueilli par la journaliste Anne-Isabelle Tollet, Asia Bibi travaillait aux champs en compagnie de femmes musulmanes lorsqu’elle est allée puiser un verre d’eau dans le puits. Une femme du village a alors reproché à cette "sale chrétienne" (sic) d’avoir "souillé l’eau du puits". Asia Bibi s’est défendue : "Je ne crois pas que le prophète Mahomet est d’accord avec ce que tu dis". Elle se voit ensuite reprochée d’avoir prononcé le nom du prophète de l’islam. Elle est donc prise à partie par le village entier. Sa fille, Sidra, raconte sur FRANCE 24 qu’elle a vu sa mère être maltraitée et sa petite sœur être violentée par des habitants du village. Plus tard, la police a inculpé Asia Bibi de blasphème, conformément aux articles 295 B et 295 C du code pénal pakistanais.

"Mais je n’ai jamais blasphémé ! Je suis innocente ! Je souffre sans avoir commis le moindre acte criminel. Je veux dire au monde entier que je respecte le Prophète. Je suis chrétienne, je crois en mon Dieu, mais chacun doit être libre de croire en qui il veut", clame Asia Bibi.

Ce témoignage, on le doit à Anne-Isabelle Tollet, journaliste à Islamabad, qui est entrée en contact avec la jeune femme par l’intermédiaire de son mari, Ashia Masih, et son avocat. Ce sont les deux seules personnes autorisées à rendre visite à Asia Bibi. La journaliste leur a transmis des questions et a rédigé un livre à partir de ses réponses. "J’ai fait traduire le livre pour recevoir l’aval de l’avocat et de la jeune femme. Ils ont signé toutes les pages, une à une."

Anne-Isabelle Tollet s’est également rendue dans le village d’Asia Bibi pour mener son enquête, rencontrer le mollah qui l'a accusée de blasphème et faire connaissance avec sa famille. Elle a persuadé le mari de la jeune femme, Ashiq Masih, et l’une de ses filles âgée de 16 ans, Sidra Masih, de se rendre en France pour lancer un appel international à la mobilisation pour Asia Bibi.

Depuis la condamnation de cette paysanne mère de cinq enfants, le Pakistan s'enflamme régulièrement sur la question du blasphème. Au début de janvier, Salman Taseer, le gouverneur de la région du Pendjab, a été tué par son garde du corps pour avoir rendu visite à Asia Bibi en prison et défendu un amendement visant à assouplir la loi sur le blasphème. Le même sort a été réservé, début mars, au ministre pakistanais des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, qui avait pris fait et cause pour la femme emprisonnée (voir l'entretien de FRANCE 24 avec le ministre, en cliquant ici). Une manifestation pour défendre la loi sur le blasphème a rassemblé 40 000 personnes à Islamabad au début de l’année.

La date du procès en appel d'Asia Bibi devant la Haute Cour de Lahore n’est pas encore fixée. "Ils ont un délai de deux ans pour l’organiser, et cela m’étonnerait fort que le président Zardari ait le courage de gracier la jeune femme. Je pense que le gouvernement d’Islamabad attend plutôt qu’Asia Bibi meure en prison, pour ne pas avoir à se prononcer sur son cas. La question est devenue extrêmement délicate au Pakistan."

En attendant, Asia Bibi vit dans un cachot sans fenêtre et n’a pas le droit d’en sortir.

Le mari de la jeune femme, Ashia Masih, également menacé de mort, explique pour sa part qu’il a dû arrêter de travailler et qu’il est forcé de changer régulièrement de maison pour se protéger, lui et ses cinq enfants. "Dès que quelqu’un se lève pour aider Asia, il est en grand danger", explique-t-il sur FRANCE 24. "Je demande à ceux qui comprennent la situation, depuis l’étranger, d’aider à la libération d’Asia Bibi".

Les droits du livre "Blasphème", qui sort ce lundi chez "Oh ! Editions", seront reversés à la famille de la Pakistanaise emprisonnée. "Le livre leur permettra peut-être de payer de meilleurs avocats et de vivre dans de meilleures conditions", espère Anne-Isabelle Tollet.