Inculpé formellement jeudi pour agression sexuelle et tentative de viol, Dominique Strauss-Kahn, ex-directeur général du FMI, fait maintenant face à Cyrus Vance Jr, procureur du comté de New York connu pour son engagement en faveur des femmes.
Bill Clinton a eu Kenneth Starr, Dominique Strauss Kahn aura Cyrus Vance Jr. Ce procureur de 56 ans est chargé avec ses deux adjoints, John A. McConnell et Lisa Friel, de prouver la culpabilité de DSK dans l’affaire d’agression sexuelle qui l’oppose à une femme de chambre de l’hôtel Sofitel de New York. Un trio de choc qui ne fera ni favoritisme ni concession.
"Chacun veut et mérite la même chose, un système qui rende la justice et qui soit fondé sur l'équité" : tel serait le credo de Cyrus Vance Jr.
Lors de l'audience de jeudi devant le tribunal de la Cour suprême de New York, John A. McConnell a, en tous les cas, fourbi ses armes pour convaincre le juge Michael J. Obus que DSK disposait d'une fortune suffisante pour s'enfuir s'il était remis en liberté conditionnelle, arguant de sa prétendue tentative d’évasion sur le vol d’Air France après l'agression présumée du samedi 14 mai.
Si l’intervention du procureur a autant de poids, c’est que le système américain repose sur la procédure accusatoire. Contrairement au système français où le juge d’instruction mène son enquête à charge et décharge, aux Etats-Unis le procureur rassemble les preuves susceptibles de prouver la culpabilité de l’accusé. Pour cela, tous les moyens sont bons. Le bureau du procureur s’associe notamment à la police - en l'occurence le Special Victims Bureau, qui chapeaute l’unité des crimes sexuels.
"Dans ce type d’affaire, le procureur et son équipe collaborent étroitement avec la police, des laboratoires, des experts scientifiques, des photographes. Devant le tribunal, le procureur va devoir prouver la culpabilité de l’accusé, grâce aux preuves et aux témoins. Il peut donc demander tous les éléments à charge auprès de l’hôtel, de l’hôpital...", détaille Eric Lisann, ex-procureur aux Etats-Unis.
Cyrus Vance JR, un habitué des sphères du pouvoir
Sous le feu des projecteurs depuis l'éclatement de l’affaire DSK, qui devrait l’accaparer pour les semaines voire les mois à venir, Cyrus Vance Jr est un habitué, depuis très jeune, des sphères du pouvoir.
Son père, Cyrus Vance, fut en effet secrétaire d’État aux armées de l’administration Kennedy puis ministre des Affaires étrangères de Jimmy Carter. Mais "Junior" a évité de marcher sur les traces de son père, préférant le droit à la politique.
Diplômé de Yale et de Georgetown, il s’installe à Seattle en 1988, malgré des débuts prometteurs à New York au bureau du très célèbre procureur de l’époque, Robert Morgenthau.
"Cyrus Vance Jr a passé une partie de sa carrière à Seattle, où il s’est bâti sa réputation de pénaliste. On dit qu’il a fait ça pour échapper à l’ombre de son père, extrêmement connu à New York", explique à France 24 Frederick T. Davis, avocat aux barreaux de Paris et New York et ancien procureur fédéral à New York.
Un procureur "juste et travailleur"
En 2004, il rentre à New York. Cinq ans plus tard, le poste très prisé de "district attorney" (procureur de l’État de New York) se libère. A 90 ans, Robert Morgenthau, district attorney de la ville entre 1975 et 2009, se résout à passer la main.
En effet, aux Etats-Unis, les procureurs sont élus au suffrage universel pour un mandat de quatre ans. L'obligation pour les candidats de faire campagne pour gagner l’opinion est perçue comme une garantie de leur indépendance.
Pour Cyrus Vance Jr, c’est un rêve d’étudiant à portée de main. Il fait une campagne brillante où il reçoit le soutien unanime de la presse - des tabloïds au New York Times - et de Robert Morgenthau, qui déclare à la télévision en avril 2009 : "Je pense que Vance est de loin le plus qualifié. C’est un bon avocat, il est juste."
Dans le milieu du droit new-yorkais, cette impression est partagée : on le
dit discret, travailleur et équitable. "Il est très bien vu du barreau. C’est un homme équitable, pas arrogant et très ouvert. Il est plus austère et assidu que son prédécesseur, qui était très médiatique. Il est aussi un grand spécialiste du droit pénal", continue Frederick T. Davis.
"Le procureur est une figure politique, mais pas un idéologue. Il est censé agir au nom du peuple, mais prête serment pour défendre le droit et l’impartialité. Cyrus Vance Jr est dans cet esprit-là", surenchérit Eric Lisann.
Partisan d'une justice de proximité, Cyrus Vance Jr a lancé le programme "community-based justice", fondé sur la coopération entre magistrats, police et travailleurs sociaux. Il lui tient à coeur de défendre les plus démunis et de s’attaquer à la criminalité "particulièrement dans le domaine de la violence domestique et intime", précise-t-il sur son site Web.
En voie de "starisation" ?
En novembre 2009, Cyrus Vance Jr remporte l’élection de "district attorney" sous l’étiquette démocrate, et ce avec 91% des voix.
"Un procureur construit sa carrière sur de gros coups, dont il peut tirer profit par la suite. On juge un procureur à son taux d’inculpation, de la même manière qu’un avocat devient un ténor du barreau en fonction de son nombre d’acquittements. On peut parler de phénomène de starisation", explique un avocat d’affaires du bureau de New York, qui souhaite rester anonyme.
Les procureurs des procès très médiatisés deviennent des célébrités, même s'ils perdent, comme ce fut le cas pour Marcia Clark dans le cas d'OJ Simpson, innocenté, pour Kenneth Starr, le procureur spécial du "Monicagate" de Bill Clinton, ou pour Tom Sneddon, accusateur malheureux de Michael Jackson.
Avec une affaire comme celle qui concerne DSK, Cyrus Vance Jr pourrait prétendre une même notoriété.