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Besson incite les sans-papiers à dénoncer leurs passeurs

Dénoncer une filière d'immigration clandestine et obtenir des papiers... La proposition du nouveau ministre de l’Immigration pourrait allécher plus d'un aspirant à la régularisation. Mais les associations sont sceptiques sur la mise en œuvre.

Il s’agit de "démanteler les filières", explique le nouveau ministre de l’Immigration, Eric Besson. C’est une "prime à la délation", dénoncent les associations d’aide aux migrants. La première mesure du remplaçant de Brice Hortefeux au délicat ministère de l’Immigration, de l’Intégration et du développement solidaire ne passe pas inaperçue.

En clair, la circulaire signée jeudi par Eric Besson propose un titre de séjour "vie privée et familiale" d’un minimum de six mois, en échange d’informations concernant les "filières qui font leur fond de commerce du trafic de la personne humaine", selon les termes du ministre lors de son discours devant les préfets. Le titre de séjour provisoire est renouvelé tant que l’enquête est en cours. Si la procédure judiciaire aboutit à une condamnation définitive d’un ou plusieurs membres de cette filière, un titre de résident de 10 ans est délivré à la victime. Le gouvernement promet en sus un accompagnement social pour aider le migrant à ne plus dépendre du réseau d’exploitation qu’il a dénoncé.

"Bien sûr, nous ne sommes pas contre le fait de démanteler les réseaux de passeurs", analyse Pierre Henry, directeur de France Terre d’Asile, une association d’aide aux migrants. "Mais je juge la proposition du ministre inefficace et dangeureuse. Et les effets sur l’immigration clandestine seront marginaux. Or à écouter le ministre, il s’agirait d’une mesure centrale contre l’immigration clandestine."

 

"Impossible de ne pas faire appel à un passeur"

Une filière d’immigration clandestine recouvre des réalités très diverses. Cela peut désigner une personne qui fournit une aide ponctuelle à traverser une frontière, par exemple en faisant passer un migrant pour son fils sur son passeport, ou en vendant quelques pistons pour passer au travers d’un contrôle. Toute autre est la situation d’une victime d’un réseau de trafic humain, exploitée dans des ateliers clandestins en France après s’être fait confisqué son passeport.

"Un nombre important de personnes fuyant des conflits ou des persécutions est contraint de faire appel à des passeurs", estime Sylvain Saligari, avocat spécialisé dans le droit des migrants . "Il est devenu tellement difficile d’obtenir un visa aujourd’hui, et les murs érigés aux frontières européennes sont tellement difficiles à franchir, qu’il est impossible de ne pas faire appel à un passeur", renchérit Pierre Henry.

"J’en connais qui seraient prêts à tout pour un titre de séjour"

Les migrants seront-ils prêts à donner les noms de ceux qui les ont exploités ? France Terre d’Asile estime que les clandestins seront très frileux à "rompre un contrat de confiance, une solidarité du risque. Vous imaginez les règlements de compte et les conséquences pour la famille restée au pays", explique Pierre Henry. Violaine Carrère, juriste au Groupement d’information et de soutien aux immigrés (Gisti ), pense au contraire que "beaucoup de sans-papiers se raccrochent à n’importe quel espoir de régularisation. Ils sont dans une telle situation de désespoir. J’en connais des douzaines qui seraient prêts à sauter sur toutes les occasions pour obtenir un titre de séjour de six mois".

Maître Sylvain Saligari s’attend lui aussi à de nombreux dérapages. "Des immigrés en grande détresse seraient prêts à dénoncer n’importe qui pour obtenir des papiers. Et il est fort à parier que les personnes désignées n’appartiennent pas à des réseaux importants. Ce seront sûrement de petites mains. Vous imaginez les dérives possibles lorsque la police s’immisce dans les milieux d’immigration à partir de ce type d’accusation. Je crains les dérives, compte tenu des quotas d'expulsion. " Or, fait-il valoir, "les victimes de mafias ou de réseaux très organisés parlent très rarement. C’est trop dangereux, la protection juridique offerte par la loi n’est pas suffisante".

Peu de prostituées ont été régularisées depuis 2003

Pour se faire une idée de l’application d’une telle mesure, il suffit de regarder comment est mise en œuvre une mesure très proche de celle annoncée par Eric Besson. Il s’agit de la loi de 2003 permettant aux prostituées de dénoncer leur proxénète en échange d’un titre de séjour. Or d’après les chiffres obtenus par l’AFP auprès des associations - il n’y a pas de statistiques officielles -, moins de 100 régularisations ont été accordées à ce titre en 2008.

Les associations d’aide aux prostituées - le Mouvement du Nid, la fondation Scelles - expliquent que plusieurs prostituées ayant dénoncé leur proxénète n'ont pas obtenu de papiers. Ou seulement des titres très provisoires. Et qu’elles n’ont pas été protégées contre des mesures de rétorsion.