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"Le RSA n'est pas un salaire mais un filet de sécurité"

Pour l’économiste Hélène Périvier, exiger cinq heures de travail hebdomadaire aux bénéficiaires du RSA en échange de leur allocation impliquerait un bouleversement du modèle social français. Explications.

Avec son projet de réforme du Revenu de solidarité active (RSA), le ministre français des Affaires européennes, Laurent Wauquiez, a provoqué un tollé à gauche comme à droite, et même au sein du gouvernement.

Qu'est-ce que le RSA ?

Le Revenu de solidarité active, contrairement au Revenu minimum d'insertion (RMI) qu'il a remplacé en 2009, permet à un demandeur d’emploi de cumuler une partie de ses aides sociales avec ses premiers salaires une fois qu’il a retrouvé un travail.

Dimanche, le ministre, qui s’exprimait en tant que chef de file du club "La droite sociale", a proposé de plafonner le cumul des prestations sociales à 75 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) ou encore de demander cinq heures de service social hebdomadaire aux bénéficiaires du RSA en échange du versement de leur allocation. Objectif : lutter contre le “cancer de l’assistanat”, selon les termes du ministre.

Aussitôt, plusieurs personnalités du gouvernement se sont démarquées de l’initiative de Laurent Wauquiez. Mardi, le Premier ministre, François Fillon, a volé au secours de cette allocution mise en place en juillet 2009 sous l'impulsion de Martin Hirsch, alors haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. "Grâce au RSA, reprendre une activité est plus attractif que la dépendance à l'égard de la solidarité, a déclaré le chef du gouvernement à l’Assemblée nationale. Le RSA, c'est une avancée par rapport au RMI [Revenu minimum d'insertion, ndlr]."

Pour Hélène Périvier, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE),  les pistes de réforme de Laurent Wauquiez bouleverseraient la nature même de l’aide sociale, et, par conséquent, le modèle social français.

FRANCE 24 - Pourquoi les propositions du ministre Laurent Wauquiez déclenchent-elles un tel tollé ?

Hélène Périvier -
Actuellement, les gens qui touchent le RSA doivent rechercher activement un emploi. Ils sont censés être pris en charge soit par des travailleurs sociaux soit par des services de replacement comme le Pôle emploi, soit par les deux, de sorte à pouvoir retravailler le plus rapidement possible. Les emplois en contrats aidés dans le secteur non marchand constituent la voie principale de réinsertion dans l'emploi des allocataires de minima sociaux.

Or, ces emplois correspondent peu ou prou aux travaux d'intérêt général préconisés par Laurent Wauquiez [surveillance à la sortie des écoles, nettoyage, accueil dans les services publics, NDLR]. Cette déclaration revient donc à stigmatiser les personnes qui touchent le RSA mais n’apporte rien en termes de dynamisation du marché du travail ou de réinsertion dans l'emploi de cette population. Le danger serait de passer d'une logique de solidarité, sur laquelle repose l’aide sociale en France, à une logique de "workfare" pure, c'est-à-dire de remboursement des aides versées par quelques heures de travail. Le RSA n'est pas un salaire, car un salaire permet d’accéder à des droits sociaux (retraite, assurance chômage, etc.), mais d'un revenu minimum garanti qui représente un dernier filet de sécurité.
 

F24 - Cela revient donc à changer la nature du modèle social français...

H.P. - Tout est une question de dosage entre l’idée de mérite et de solidarité. En France, c’est clairement la solidarité qui l’emporte, mais ce dosage bouge dans le temps. Avec la mise en place du RSA, on a déjà déplacé le curseur vers le mérite, puisqu’on propose de compléter les premiers salaires par une allocation une fois que le chômeur a retrouvé un emploi.

F24 - Existe-t-il dans d'autres pays des cas de "service social" comme celui proposé par Laurent Wauquiez ?

H.P. - Aux États-Unis par exemple, l'aide sociale repose clairement davantage sur la notion de mérite que sur celle de solidarité. Cette logique s'est durcie à partir des années 1980 avec la présidence de Ronald Reagan, et le "workfare",  qui signifie "work for your welfare" ["travailler pour votre propre richesse"], a été véritablement acté au milieu des années 1990 avec la réforme de l'aide sociale. Certains États, comme l'Indiana, en ont une vision très stricte et s'inscrivent dans une logique de remboursement de l’allocation par un travail d'intérêt général.