Alors que la polémique autour des présumés quotas de la Fédération française de football bat son plein, Patrick Mignon, responsable du Laboratoire de sociologie du sport de l'INSEP, revient sur le caractère sociologique de la controverse.
FRANCE 24 : Depuis les révélations de Mediapart il y a une semaine, la polémique ne cesse d’enfler dans l'affaire des quotas de la Fédération française de football (FFF). Pourquoi y a-t-il eu tant de réactions de personnalités sportives, mais aussi politiques ?
Patrick MIGNON : Parce que cette affaire dépasse largement le cadre du football français. Depuis 13 ans, ce sport est devenu une affaire nationale. Il cristallise tous les enjeux de la société. En 1998, il était l’expression de cette France "black, blanc, beur" à laquelle tout le monde voulait croire. Mais ce mythe s’est écroulé, une première fois pendant la Coupe du Monde 2010 avec sa désacralisation, puis une nouvelle fois aujourd'hui, avec cette nouvelle affaire qui touche la FFF. Cette polémique met en avant des questions de société, comme le racisme, avec ces histoires de mise en place de quotas.
N’assiste-t-on pas, finalement, à un retour de bâton de l'exploitation politique faite de la victoire de 1998, qui avait abouti au concept de "black, blanc, beur" ?
P. M. : Si, complètement. Ce prisme d’une société multiculturelle comme on la rêvait ne tient plus. Il a laissé place à une société qui se ferme sur elle-même, qui ne parvient plus à fondre dans le modèle en place les vagues d’immigration qui se sont succédées depuis les années 1960. Pendant des années, on a voulu croire que le football était un exemple à suivre en matière d’intégration, mais cette illusion d'une France "black, blanc, beur" est révolue. On constate que le football est atteint des mêmes maux que la société française dans son ensemble.
La levée de bouclier provoquée par l'affaire des quotas aurait-elle pu être observée dans un autre pays que la France ? Existait-il un terreau sociétal particulier pour que l’affaire s’envenime ?
P. M. : En Angleterre ou aux États-Unis, on aurait vraisemblablement pu observer le même phénomène. Ces deux pays ont des sensibilités similaires à celles de la France sur les thématiques des minorités, des populations issues de l’immigration. En Allemagne, où s’est posée la question de l’intégration des minorités turques dans le football il y a quelques années, on aurait sans doute assisté aussi à des prises de position très tranchées. En Italie et en Espagne en revanche, deux pays qui ne sont pas des bassins traditionnels d’immigration, il est peu probable que l’affaire serait allée si loin. Déjà, il aurait été très surprenant que des journalistes enquêtent sur ce type d’affaire pour piéger la fédération de leur pays.