
Alors que la réconciliation entre la Turquie et l'Arménie est au point mort, des milliers d'Arméniens ont défilé à Erevan pour se recueillir à la mémoire des victimes des massacres de 1915 - qualifiés de "génocide", terme réfuté par Ankara.
AFP - Les Arméniens ont marqué dimanche le 96e anniversaire des massacres de leurs ancêtres sous l'Empire ottoman, sur fond d'enlisement du processus de réconciliation entre Ankara et Erevan.
Des milliers de personnes ont défilé à Erevan jusqu'au monument aux morts Tsitsernakaberd de la capitale arménienne pour se recueillir à la mémoire des victimes.
La Turquie s'apprêtait dimanche à déboulonner un monument célébrant l'amitié avec l'Arménie près de la frontière entre les deux pays, après que le Premier ministre eut tourné en dérision la statue et demandé son enlèvement, selon la presse.
Passant outre aux protestations généralisées, les autorités de la ville de Kars (est) ont chargé une entreprise de déboulonner la statue inachevée après que le Prmeier ministre Recep Tayyip Erdogan l'eut qualifiée de "monstruosité".
Les autorités font valoir que cette oeuvre devait être détruite parce qu'elle a été érigée dans une zone interdite à la construction afin de préserver la nature et les monuments historiques environnants.
"L'Arménie a prouvé par ses gestes résolus que malgré les pages noires de l'Histoire, elle aspire à la paix avec ses voisins, la Turquie incluse", a déclaré le chef de l'Etat arménien, Serge Sarkissian.
"Néanmoins, la politique officielle de déni (du génocide) de la Turquie continue", a déploré le président de cette ancienne république soviétique du Caucase.
L'Arménie et la Turquie ont signé en octobre 2009 des protocoles de réconciliation, mais le processus s'est enlisé dans des accusations mutuelles, chaque partie estimant que l'autre manque d'implication.
L'Arménie a gelé la ratification des protocoles de réconciliation il y a un an, mais M. Sarkissian a récemment souligné qu'Erevan avait pris cette décision "un certain temps après que les Turcs ont refusé de suivre cette procédure (devant leur propre Parlement)".
L'Arménie accuse la Turquie d'avoir de nouvelles exigences au regard de ces protocoles dont certains responsables politiques arméniens réclament l'annulation.
Les Arméniens qualifient de génocide les massacres et déportations qui ont fait, selon eux, plus d'un million et demi de morts au sein de leur communauté.
De son côté, la Turquie reconnaît qu'entre 300.000 et 500.000 personnes ont péri, non pas victimes d'une campagne d'extermination, mais, selon elle, dans le chaos des dernières années de l'Empire ottoman.
La qualification de ces événements de génocide a été approuvée par la France, le Canada et le Parlement européen.
Samedi, le président américain, Barack Obama, a commémoré le massacre en demandant à Ankara la "pleine" reconnaissance de ces tueries, en prenant soin de ne pas prononcer le mot "génocide" dont il avait pourtant préconisé l'utilisation pendant sa campagne électorale en 2008.
"Une juste reconnaissance, entière et franche, des faits est dans notre intérêt à tous", a estimé M. Obama dans un communiqué.
La Turquie s'est empressée de critiquer les déclarations "unilatérales" du locataire de la Maison Blanche.
"Les déclarations (de M. Obama) déforment les faits historiques. C'est pourquoi nous trouvons qu'elles posent problème et les déplorons", a indiqué le ministère turc des Affaires étrangères.
"Nous attendons des Etats-Unis qu'ils facilitent la normalisation" des relations entre la Turquie et l'Arménie, "pas qu'ils la compliquent", a ajouté le ministère.
Les protocoles signés en 2009 auraient pu mettre fin à des décennies d'hostilités et permettre la réouverture de la frontière commune entre les deux pays, mais l'Arménie a suspendu le processus de ratification en avril 2010.
M. Sarkissian a récemment déclaré que les choses resteraient en l'état jusqu'à ce qu'Ankara ratifie les protocoles, réaffirmant qu'Erevan n'accepterait aucune "condition préalable".
Le chef de l'Etat arménien reproche à la Turquie, alliée de l'Azerbaïdjan, de lier la ratification des textes à une avancée dans le contentieux sur le Nagorny-Karabakh, territoire azerbaïdjanais contrôlé de facto par les Arméniens.
Les massacres de 1915 ont été pendant longtemps tabou en Turquie, mais un débat public s'est instauré au cours des dernières années avec un nombre croissant d'historiens et d'intellectuels mettant en question la ligne officielle d'Ankara sur cette question et préconisant une réconciliation.