Un vent de liberté souffle sur la presse égyptienne. Le rôle central joué par Internet dans la révolution est en train de modifier le paysage médiatique du pays. Les journalistes tentent de s’organiser.
Depuis la chute d’Hosni Moubarak, le 11 février, le monde des médias en Égypte est en pleine ébullition. "Les journalistes se sentent plus libres maintenant", explique à France24.com Nader Gohar, président de l’Union arabe pour le journalisme électronique (Arab Union for Electronic Journalism). Cette organisation est née en septembre 2010, sous Moubarak. Elle s’était déclarée aux autorités sous le titre d’"association pour l’espace électronique" dans le but de défendre les journalistes, mais ne pouvait le faire au grand jour. Depuis plus de deux mois, elle peut enfin exister sous son vrai nom et développer son activité.
L’Union arabe pour le journalisme électronique souhaite "développer et défendre les droits des journalistes web mais aussi former les journalistes aux nouvelles façons de travailler tant au niveau des techniques rédactionnelles que des nouveaux outils." À en croire Nader Gohar, 900 journalistes seraient déjà membres, en Égypte surtout, mais aussi dans d’autres pays arabes : en Jordanie, au Maroc, au Liban ou encore au Yémen. "Tous les journalistes professionnels qui travaillent ou veulent travailler sur Internet sont les bienvenus", explique-t-il. Et depuis la révolution, une nouvelle génération de journalistes fait son apparition : les blogueurs devenus journalistes. "Certaines personnes disposaient d’un blog qui est devenu un site d’informations, eux aussi sont devenus journalistes."
Nader Gohar est convaincu que l’avenir de l’information est sur Internet. "Les journalistes web sont l’avenir ! Ils étaient en reportage sur la place Tahrir [au Caire] pendant la révolution." Et de rappeler que la révolution en Égypte est la première à s’être faite par les médias sociaux Facebook et Twitter. "En Égypte, le nombre d’utilisateurs de Facebook a presque doublé depuis la révolution. Avant, c’étaient surtout des jeunes de 15 à 25 ans, maintenant tout le monde a rejoint ce réseau social, c’est devenu une habitude de le consulter." Et d’ajouter : "La révolution s’est faite grâce au web qui a permis de diffuser l’information, mais aussi avec les médias étrangers. Cette révolution a été gagnée avec les médias", conclut-il.
Un nouveau journalisme à apprendre
Depuis la chute d'Hosni Moubarak, les journalistes doivent apprendre à travailler autrement : "Avant, il n’y avait pas de démocratie. Il faut donc apprendre à travailler sous une démocratie et la promouvoir. Mais il y a beaucoup à faire sur le terrain éditorial, il faut se rattraper", reconnaît-il. "Sous Mouabarak, les journalistes de la télévision nationale devaient relayer ce que disait le pouvoir. Mais maintenant il n’y a plus de règles. Les Égyptiens sont étonnés de voir les Frères musulmans invités dans tous les débats sur les chaînes nationales alors qu’avant ils n’avaient pas droit de cité." Pour former les journalistes à l’éthique journalistique et leur donner des bases de techniques rédactionnelles, l’Union arabe pour un journalisme électronique souhaite proposer des formations. Pour l’instant, l’argent manque. "Dès la semaine prochaine, nous pensons faire des demandes aux États-Unis et à l’Union européenne pour nous aider à financer ces programmes."
Depuis la fin du régime, les médias égyptiens vivent une période transitoire passionnante. "Lancer une télévision est très facile. On peut obtenir un permis en deux semaines", idem pour les journaux qui peuvent paraître librement (sauf les journaux religieux).
Pour l’heure, la viabilité économique des média indépendants n’est pas encore assurée en Égypte. Quant aux médias publics, ils sont sous perfusion de l'État qui leur permet de survivre. Néanmoins Nader Gohar espère que la nouvelle Constitution et l’élection présidentielle prévues en septembre 2011 vont changer la donne. Après la révolution politique, l’Égypte connaît une révolution médiatique.