
L'opérateur Tepco promet de ramener la centrale de Fukushima sous contrôle d’ici neuf mois. Mais les experts et les Japonais restent sceptiques face aux annonces d'une entreprise qui a accumulé nombre d’erreurs depuis le début de la catastrophe.
La centrale nucléaire de Fukushima sera-t-elle bientôt hors d’état de nuire ? C’est en tout cas ce qu’espère son opérateur Tepco, qui a dévoilé dimanche, en conférence de presse, sa feuille de route pour sortir la centrale de Fukushima du bourbier. Cette dernière prévoit l'achèvement des opérations d'urgence d'ici trois mois, puis la mise en place de mesures de stabilisation d'ici six à neuf mois.
Il aura fallu attendre cinq semaines après le séisme et le tsunami du 11 mars dernier qui avaient endommagé la centrale au nord-est de l’archipel japonais, avant de voir poindre – pour la première fois – un plan d’action, un calendrier et une échéance. Cinq semaines pendant lesquelles, Tepco, a été mis en cause pour sa gestion de la catastrophe.
"Un plan théorique"
Décidé à faire table rase des erreurs passées, l’opérateur de la centrale veut désormais faire bonne figure. Stéphane Lhomme, président de l’Observatoire du nucléaire, juge le programme de l’opérateur un peu trop "optimiste"."Tout ce plan est très théorique. Nous ne savons même pas comment il sera concrètement mis en place, ni s’il est réalisable maintenant", explique-t-il. "Qu’est-ce qui prouve que des répliques ne vont pas venir perturber ce plan de travail ? Ou qu’un des réacteurs ne va pas se remettre à fusionner ?".
Mais, surtout l’expert, circonspect face à l’intégrité de Tepco, voit dans cette conférence de presse de la poudre aux yeux destinée à "rassurer les actionnaires", et dénonce une feuille de route mise sur pied à la va-vite "sous pression du gouvernement".
Des propos virulents que nuance Thierry Charles, le directeur de la sûreté des installations à l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). Pour sa part, il croit à la fiabilité de ce plan de secours, même imparfait. "C’est vrai, il n’y a pas encore d’explications concrètes sur son application. Je ne sais pas non plus si tout se fera dans la plus grande transparence, mais le programme annoncé est cohérent et plein de bon sens".
Il concède toutefois que les délais annoncés sont sûrement justes. "Il faudra attendre une vingtaine d’années avant d'assainir et démanteler complètement la centrale. Tepco n’en est pas encore là. Leur priorité absolue est de remettre sur pied un système de refroidissement dans les prochains mois".
"Dès le départ Tepco m’a semblé peu honnête"
Sur l’archipel aussi, le scepticisme est de mise au lendemain de la conférence de presse. Même une partie de la presse japonaise, pourtant très mesurée dans son traitement de l’information, épingle l’opérateur. Dans un article au vitriol, le Mainichi Daily News - la version anglaise de Mainichi Shinbun, un des quotidiens nationaux à haut tirage, critique un plan de secours "sans mesures concrètes", un projet "irréalisable" et un délai "qui ne sera jamais tenu" avant de conclure que le patron de Tepco, Tsunehisa Katsumata, a "complètement échoué" dans sa gestion de la catastrophe.
Cette vague d'incrédulité touche également certains expatriés français contactés par France24.com. Jean-Matthieu Malouch, résidant à Tokyo, estime que "l'opérateur n’est là que pour faire du profit". Selon lui, Tepco a raté sa chance de s’offrir une nouvelle crédibilité. "La plupart des Japonais doutent de sa fiabilité. Depuis le début, les informations que nous fournit l’opérateur sont incroyables. Le directeur général (DG) malade, les erreurs de mesure de radioactivité. Dès le départ, Tepco m’a semblé peu honnête", confie-t-il.
Même son de cloche du côté de Charlotte (qui souhaite rester anonyme) professeure à Osaka. "La plupart de mes amis japonais se méfient des annonces de Tepco. Ils disent qu’ils nous cachent des informations depuis le début pour éviter la panique". Les défenseurs de l'opérateur, à l’instar de Jérôme Finck qui travaille dans le secteur bancaire dans la capitale japonaise, se font rares. Lui défend pourtant le bilan de Tepco. "Ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu'ils ont. Je ne pense pas qu’il faut les blâmer outre mesure", explique-t-il. "Tout le monde leur tombe dessus. Seul le temps jugera leurs actions".