
Avec seulement deux joueurs noirs dans le Top 100, le tennis est-il en train de devenir un sport exclusivement blanc ? Si oui, pour quelles raisons ? Manque d'investissement, crise générationnelle : le tennis est en pleine mutation.
Le tennis est-il un sport de Blancs ? Parmi les cent meilleurs joueurs mondiaux, seuls deux joueurs sont noirs : les Français Jo-Wilfried Tsonga et Gaël Monfils. Chez les dames, même constat avec la seule présence des sœurs Williams, Serena et Venus. Pourtant le tennis, même s’il est encore considéré comme un sport de "country club", a une histoire riche en diversité depuis les premiers mouvements de lutte antiségrégationniste des années 1960.
En 1968, Arthur Ashe fut ainsi le premier Afro-Américain à remporter un tournoi du Grand Chelem (US Open). Il en remporta deux autres – l'Open d’Australie en 1970 et Wimbledon en 1975 – avant d’entrer à l’International Tennis Hall of Fame, le Panthéon du tennis mondial, en 1985. Il demeure à ce jour le seul joueur noir à avoir remporté ces trois tournois du Grand Chelem. Le quatrième, Roland-Garros, a dû attendre 1983 avant d’être remporté par Yannick Noah, Français d’origine camerounaise.
Bien avant eux, l’Américaine Althea Gibson avait déjà bousculé les us et coutumes d’un sport qui n’était alors pratiqué que par une frange très huppée, donc blanche, de la société américaine de l’après-guerre. Née en 1927 en Caroline du Sud, au cœur de l’Amérique ségrégationniste, "Ally", comme on la surnommait, fut la première joueuse noire à devenir joueuse professionnelle et à remporter un tournoi du Grand Chelem à Roland-Garros en 1956. En 1957 et 1958, elle s’imposa à Wimbledon et à l’US Open, années où elle décrocha la place de numéro 1 mondiale avant de se retirer et de devenir, en 1964, la première joueuse de golf noire de la Ladies Professional Golf Association.
Plus d’un demi-siècle après, où en sont leurs héritiers ?
Il y a encore cinq ans, James Blake était la référence du tennis noir américain. Quatrième joueur mondial, il a remporté dix titres entre 2002 et 2007 pour atteindre la 4e place mondiale. Blessé en 2010, l’ancien étudiant d’Harvard n’a cessé de chuter pour tomber à la 171e place. A 31 ans, il est aujourd’hui 154e et ne semble plus en mesure de rivaliser avec des joueurs du top 10, encore moins de remporter un Grand Chelem.
L’autre espoir du tennis afro-américain s’appelle Donald Young. En 2007, il est devenu le plus jeune joueur à entrer dans le top 100 à 18 ans et cinq mois. Quatre ans plus tard, il stagne encore au 122e rang.
Chez les dames, le phénomène des sœurs Williams reste une exception. Une sorte de rêve américain concrétisé par 20 titres du Grand Chelem à elles deux. Poussées dès leur plus jeune âge par un père qui a toujours vu en elles de futures championnes, Venus et Serena ont marqué au fer rouge l’histoire du tennis féminin au-delà même de leur communauté. Mais la relève tarde à arriver.
Une crise générationnelle dans le tennis américain
"C’est le tennis américain en général qui est en déclin. Pour la première fois depuis vingt ans, il n’y a plus d’Américain dans le top 10 de l’ATP. Et même si Mardy Fish devrait intégrer le haut du tableau lundi, c’est une crise générationnelle qui est en cause : on risque de ne bientôt plus voir d’Américains à l’US Open.
Ce constat a poussé Patrick McEnroe, frère de John, à repérer et former dans une structure publique les jeunes talents de demain", explique Yves Cochennec, ancien rédacteur à Tennis Mag de 1997 à 2007, aujourd’hui consultant pour plusieurs publications dont l’Equipe et Slate.fr. "Mais comme le baseball ou d’autres sports, le tennis n’est pas aux Etats-Unis un sport "Black". Lors des tournois de l’US Open, les publicités d’assurances maladies sont révélatrices du vieillissement de la population qui regarde le tennis aux Etats-Unis. Mais une chose est sûre : il n’y a plus de barrières raciales dans le tennis."
La Fédération française de tennis investit dans les DOM-TOM
En France, le tennis occupe une plus grande place dans la société. Deuxième fédération en nombre de licenciés, la France est un des rares pays à posséder des tournois toutes catégories (Challengers, Masters 250, 500, 1000 et Grand Chelem). D’après Yves Cochennec, l’émergence de joueurs issus des DOM-TOM n’a rien à voir avec l’héritage de Yannick Noah.
"Depuis quelques années, la fédération française de tennis (FFT) a investi massivement dans les territoires d’Outre-mer, après avoir découvert le potentiel physique des jeunes Guadeloupéens et Martiniquais. Même si Gaël Monfils [d’origine guadeloupéenne] est né en Métropole, la tendance est à l’ouverture vers les DOM-TOM", estime-t-il.
En Afrique, en revanche, c’est le manque d’installations et d’infrastructures qui freine l’émergence d’une ou d’un espoir venu du continent noir. "Mis à part quelques joueurs blancs sud-africains et des Marocains, il n’y a pas de joueurs qui se détachent du lot, même si la Fédération internationale de tennis commence à investir." Il serait temps.