![Les opposants au gaz de schiste font reculer le gouvernement Les opposants au gaz de schiste font reculer le gouvernement](/data/posts/2022/07/16/1657958963_Les-opposants-au-gaz-de-schiste-font-reculer-le-gouvernement.jpg)
Depuis quelques mois, le gaz de schiste nourrit les doutes, la grogne, et l'exaspération. La fronde provoquée par l’octroi de permis d’explorations à des compagnies a même fait reculer le gouvernement, fragilisé par les dernières cantonales.
Le gouvernement frémit et recule. Un an après avoir, en toute discrétion, modifié le code minier et distribué des permis d’exploration de zones susceptibles de contenir des gaz de schiste à deux compagnies gazières dans le Sud de la France, il veut désormais les interdire. À un an de la présidentielle, l’ampleur de la fronde menée par les habitants des territoires concernés par les forages accentue le malaise dans une majorité déjà ébranlée par le revers subi lors des élections cantonales.
Tout commence en mars et en avril 2010, au moment où Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Écologie et de l’Énergie, accorde des permis de prospection – la présence de gaz de schiste n’est pas encore complètement avérée – au groupe français Total et au
texan Schuepbach Energy, associé à GDF dans trois concessions du Sud de la France. La zone s’étend sur près de 10 000 kilomètres carrés et englobe, entre autres, les villes de Millau, Montpellier, Nîmes et Montélimar. Dans cet ensemble de villes et de villages, personne ne soupçonne alors que le sous-sol abrite potentiellement une véritable fortune. Personne ne se doute non plus que l’avenir se joue – sans eux – dans les bureaux d’un ministère parisien.
"J’ai été averti d’un projet par téléphone le 21 octobre 2010 par le chef de projet de GDF-Suez, explique Jacques Lebrat, maire de Valvignère, un village de 430 âmes planté au milieu des vignes dans le sud de l’Ardèche. Une semaine plus tard, une réunion a été organisée avec les membres de la communauté de commune. Le chef de projet de GDF nous a fait part de ces plans […]. Nous avons posé beaucoup de questions, mais il n’y avait aucune inquiétude à l’époque, c’était de la simple curiosité. On était quand même étonné des volumes d’eau nécessaires à la prospection et à l’exploitation [entre 7 et 15 millions de litre d’eau] – l’eau est une denrée rare ici – et on trouvait les méthodes bien intrusives. Le chef de projet a été très rassurant, comme l’est un technicien sûr de son projet et de son boulot".
La fracturation hydraulique, une méthode désastreuse
Car extraire le gaz de schiste nécessite une technique bien particulière. Ce gaz – une forme de gaz naturel - est emprisonné dans de toutes petites poches coincées entre les couches de schiste, une roche à l’aspect feuilleté se trouvant à plusieurs kilomètres de profondeur dans le sous-sol. Il ne "suffit" donc pas, comme pour les forages classiques, de percer un puits vertical pour extraire le gaz contenu dans une poche. Son extraction nécessite de forer d’abord verticalement puis horizontalement, de façon à pénétrer la couche de schiste sur la longueur. Longtemps impossible, ce type de forage a finalement pu être réalisé avec la mise au point d’une technique appelée "fracturation hydraulique" consistant percer la roche à l’aide d’explosifs et d’eau propulsée à très haute pression additionnée de produits chimiques [environ 600, selon les associations écologistes] et de sable, de façon à provoquer des mini-séisme pour fracturer la roche et libérer le gaz.
"J’ai quand même fait part de mes réticences au chef de projet de GDF, poursuit Jacques Lebrat. Ces forages ne sont pas une mince affaire : il y aura des impacts sur la voierie, sur l’eau, sur le foncier, et puis sur l’image de la commune. Sans animosité aucune, le chef de projet nous a alors répondu que le sous-sol ne nous appartenait pas. En gros, on n’avait pas le choix". Le début des travaux est théoriquement prévu au premier trimestre 2012 sur Valvignère. Petit à petit, les élus grattent, trouvent des informations de plus en plus inquiétantes sur les exploitations de gaz de schiste, puis tombent sur le documentaire "Gasland", réalisé par un Américain, Josh Fox. Ce film choc montre le désastre environnemental et sanitaire provoqué par les exploitations chargées d'extraire du gaz de schiste dans plusieurs régions américaines. Familles malades, nappes phréatiques polluées, eau inflammable au sortir de robinet, paysages ravagés… Des images fortes qui ne manquent pas de provoquer une levée de bouclier chez les populations concernées, puis dans la classe politique.
Début février, la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, et le ministre de l’Énergie, Éric Besson, tentent d’éteindre l’incendie en imposant un moratoire sur les méthodes de prospection et d’exploitation du gaz de schiste, qualifiées d’extrêmement polluantes par les associations écologistes. A cette fin, ils demandent une étude des risques liées à l’exploitation de cette ressource naturelle… Étude qu’ils ont confiée non pas à un organisme totalement indépendant, mais à leurs propres administrations, celles-là même qui ont donné leur aval aux permis d’exploration.
Indépendance énergétique
Peine perdue. Les associations écologistes et associations d’habitants, qui se sont montées à la hâte devant l’imminence du début des explorations, n’ont pas décoléré. Elles ont multiplié les actions et finalement, ont obtenu l’examen en urgence - le 10 mai prochain - devant le Parlement d’un texte de loi visant à interdire l’exploitation des gaz de schiste en France et à abroger les permis de prospection déjà accordés. Le Premier ministre François Fillon a même enfoncé le clou mercredi en assurant le soutien du gouvernement aux propositions de loi. "Il faut annuler les autorisations qui ont déjà été données", a-t-il déclaré, tout en affirmant ne "pas non plus fermer la porte à des progrès technologiques qui permettraient […] d’accéder à de nouvelles ressources énergétiques".
Des déclarations ambigües à la mesure de l’enjeu représenté par le gaz – et le pétrole – de schiste. Car cette roche recèle également une huile, très proche du pétrole. Suspecté d’être présent en masse notamment en région parisienne et dans le sud-est de la France, l’extraction de ce gaz et de cette huile représenterait une véritable manne pour la France en lui permettant d’accéder à une relative indépendance énergétique.
Actuellement, elle importe 90% de son gaz et 99% de son pétrole. Rien qu’en région parisienne, le sous-sol regorgerait de 60 à 100 milliards de barils de pétrole, selon l’Institut français des pétroles (IFP), soit l’équivalent de 70 à 120 années de production du pétrole au Koweït. Parallèlement, Total estime que la zone de plus de 4 300 km2 dont elle a décroché un permis d’exploration regorge de 2 300 milliards de mètres cube de gaz exploitable. Soit l’équivalent de la consommation française sur quinze ans.