Des milliers d’étudiants venus de tout le pays ont manifesté ce mardi dans les rues de la capitale algérienne, pourtant quadrillée par un important dispositif policier. Les étudiants pourraient redonner un souffle à la contestation dans le pays.
Ils ont réussi là où l’opposition a échoué : défiler dans les rues d’Alger, où les manifestations sont toujours interdites. Depuis début février, les révolutions tunisienne et égyptienne ont montré la voie à l’opposition algérienne qui a organisé de nombreux rassemblements à travers le pays. Ceux-ci ont systématiquement été empêchés par le pouvoir. Ce mardi, selon le correspondant de FRANCE 24, au moins 3 000 étudiants ont marché dans les rues du centre-ville de la capitale. Pour le quotidien El Watan, ils étaient même "des dizaines de milliers" à "forcer le passage".
"Nous avions rendez-vous sur la place de la Grande-Poste où le dispositif sécuritaire était énorme, explique à France24.com Mouhouche Garichi, délégué des étudiants de l’ENSSEA (École nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée), un établissement de 5 000 étudiants. Nous voulions nous diriger vers le Palais du gouvernement mais nous nous sommes retrouvés bloqués par les boucliers et les véhicules de la police. Nous avons donc décidé de changer l’itinéraire à la dernière minute pour aller au palais de la présidence à El-Mouradia." Partis au pas de course, pour semer les forces de l’ordre, ils ont été stoppés à quelques centaines de mètres du palais.
Des revendications pédagogiques plus que politiques
En Algérie, deux systèmes universitaires coexistent actuellement : l’ancien système, dit "classique" et le système LMD (Licence-Master-Doctorat) instauré en 2004, qui devrait s’étendre. Depuis un décret publié en février, magistères (du système classique) et masters (du LMD) sont dorénavant équivalents.
Problème : un magistère correspond à sept ans d’études, un master à cinq ans, mais l’échelle de rémunération est la même à la sortie. "On demande l’instauration de passerelles entre ces deux systèmes", explique Mouhouche Garichi qui assure que les revendications des étudiants sont "avant tout pédagogiques", même si quelques slogans politiques hostiles à l’appareil répressif et au régime se font entendre dans les cortèges.
Pour Ghania Oukazi, journaliste au Quotidien d’Oran, le mouvement étudiant se distingue de tous les autres mouvements sociaux actuels en Algérie : "Là, ce n’est pas une mobilisation pour de l’argent. Les étudiants sont dans la rue pour demander à leur tutelle de revoir les textes qui régissent le fonctionnement de l’enseignement supérieur."
Mouhouche Garichi se veut catégorique sur la spontanéité du mouvement : "Je peux vous garantir une chose : nous ne sommes pas manipulés. Nous n’avons pas besoin de syndicats. Nous demandons d’ailleurs la dissolution des organisations étudiantes qui agissent pour le pouvoir." Les partis d’opposition n’ont d’ailleurs pour l’instant pas tenté de récupérer la contestation étudiante.
La journaliste Ghania Oukazi reconnaît l’existence d’un "problème de leadership" dans le mouvement estudiantin : "Vu qu’il n’y a pas de véritable coordination, la peur de certains Algériens est que cela aille dans tous les sens. Et le peuple ne veut pas que l’on touche à sa sérénité."
La contestation sociale se poursuit
"Il n’y a pas que les étudiants qui sont dans la rue", explique Kamel Zaït, correspondant de FRANCE 24 à Alger. "Pratiquement tous les secteurs sont concernés par les mouvements sociaux : la police communale, les policiers et militaires radiés, les groupes de légitime défense (GLD, groupes de défense citoyens créés lors de la flambée du terrorisme), les médecins ou encore les professeurs contractuels. Certains secteurs ne s’étaient jamais révoltés auparavant. Cela s’explique par une chose : avec les révolutions dans le monde arabe, il se disent que c’est le moment où jamais de faire aboutir leurs revendications, même s’il n’y a pas de changement de régime. Et quelquefois ça marche !" Les mouvements de contestation "ne vont pas s’arrêter" en Algérie, estime Kamel Zaït.
Certains pensent même que le président Abdelaziz Bouteflika, muet depuis deux ans, pourrait sortir de son silence le samedi 16 avril prochain à l’occasion de l’inauguration politique des festivités de "Tlemcen, capitale de la culture islamique", un événement culturel et religieux international. "Peu probable", selon Ghania Oukazi : "Le président adore tenir les gens en haleine et déteste agir sous la pression."
Reste que l’année universitaire ne se déroule pas dans les meilleures conditions. "Depuis février, nous n’avons pas eu d’examens. Le ministre de l’Éducation n’apporte pas de solutions et nous considère comme des perturbateurs. Nous allons donc continuer à manifester et demander sa démission", annonce Mouhouche Garichi. Ce mercredi midi, il était encore dans la rue, organisant un sit-in avec ses camarades devant le ministère de l’Éducation.
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A voir : des photos et vidéos de la manifestation sur la page facebook "DzWikileaks".
A lire : les comptes rendus de journaux algériens El Watan ("Les étudiants forcent le passage") et Liberté ("Les étudiants ont réussi leur marche").