
Le Premier ministre sortant, Thein Sein, devient officiellement l’homme fort du nouveau régime. Mais le chef de la junte militaire, le général Than Shwe, peut continuer de diriger en sous-main le régime. Retour sur une dictature née en 1962.
Le junte birmane est morte, vive la junte birmane ? Peu de gens sont, en effet, dupes. Les militaires ont certes remis les clefs du pouvoir, mercredi, à Thein Sein, Premier ministre sortant, et dorénavant président du Parlement. Il dirige le nouveau pouvoir civil, censé être l’aboutissement des "7 étapes vers une démocratie disciplinée". Un programme décidé par la junte militaire au lendemain de l’adoption de la nouvelle constitution en 2008 et qui avait culminé avec des élections législatives contestées en novembre 2010.
Le Parlement qui en est issu est largement composé de militaires à la retraite. Mais selon cette même constitution, c’est l'association du développement et de la solidarité, dirigé par Than Shwe, le chef de la junte depuis 1992, qui contrôle les principaux leviers du pays.
"Il n’y a pas matière à se réjouir, la junte militaire se mue simplement en dictature civile", explique à FRANCE 24 Anna Roberts, directrice de l’association britannique Burma Campaign. La cérémonie n’est qu’une "opération de communication", selon Anne Roberts, destinée à donner un coup de jeune à une dictature qui dure depuis près de 50 ans.
C’est en 1962 que les militaires ont pris le pouvoir à la suite d’un coup d’État. Le général Ne Win devient alors l’homme fort de la junte qui s’installe à tous les échelons de la vie publique. Nationalisations en masse de l’économie et des médias, persécution des minorités et corruption généralisée marquent ses vingt années de règne. 300 000 Indiens ont dû fuir le pays durant cette période.
Un régime autoritaire, un pays corrompu
Il est aussi celui qui a inventé le petit coup de jeune à mi-parcours. En effet, en 1974, Ne Win décide de démissionner… pour prendre la tête d’un tout nouveau gouvernement civil largement calqué sur le modèle du parti unique en ex-URSS.
Than Shwe, qui succède à Ne Win en 1992, a donc de qui tenir. "En fait, c’est l’un de ces exemples où le nouveau dictateur est encore pire que son prédécesseur", estime Anna Roberts. Le général Than Shwe, qui réinstaure un régime militaire, se révèle être une sorte de despote paranoïaque que certains qualifient de fou influencé par ses conseillers-astrologues tandis que d’autres, comme Anna Roberts, le prennent "pour un grand manipulateur".
Une chose est sûre. Les années Than Shwe n’ont fait qu’accentuer les tendances autoritaires du régime. A la fin des années 1990, le Fond monétaire internationale a qualifié le pays d’État en banqueroute. La Birmanie est, avec la Somalie, le pays le plus corrompu au monde selon l’organisation Transparency International et l’Organisation internationale estime que près de 800 000 personnes y sont soumises au travail forcé.
Le pouvoir se coupe aussi définitivement du peuple. Than Shwe déplace, en 2005, la capitale à 300 kilomètres de Rangoon où il a fait construire une ville baptisé Naypyidaw ("siège des rois"). Le maître de la junte refuse aussi de parler à la presse étrangère et ne rencontre les officiels d’autres pays qu’à de rares occasions. Cette vie dans une tour d’ivoire éclate au grand jour lors des inondations meurtrières causées par un cyclone en 2008. Than Shwe non seulement ne fait aucune apparition publique mais il refuse même l’aide internationale. A l’instar de la Corée du Nord, le pays est alors officiellement coupée du reste monde.
Haine sans borne
Politiquement, la junte militaire ne veut pas entendre parler de démocratie, sauf à sa sauce. Than Shwe est réputé, d’après une biographie du journaliste et défenseur des droits de l’Homme Benedict Rogers ("Than Shwee : démasquer le tyran birman", NDLR), vouer une haine sans borne à Aung San Suu Kyi. Le seul nom de l’opposante et prix Nobel de la paix en 1991 le mettrait en rage. Depuis 1990 et l’annulation des élections remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, le pouvoir harcèle sa plus célèbre opposante. Elle n’est officiellement libre de ses mouvements que depuis juillet 2010 après des années passées en résidence surveillée et prison.
En 2007, la junte a également dû faire face à un autre test démocratique. Une série de manifestations en septembre, emmenées par des moines, demande plus de liberté. Les militaires écrasent alors ces soulèvements.
C’est suite à ce mouvement que le pouvoir a entamé le processus qui a abouti, ce mercredi, au transfert des pouvoirs aux instances civiles. "Ils espèrent que ce geste poussera la communauté internationale à lever une partie des sanctions économiques", note Anna Roberts.