Se croyant à l'abri de toute contestation, Damas est confronté au soulèvement d'une jeunesse soucieuse de rompre avec un système basé sur la peur et la répression exercée par le parti Baas, au pouvoir depuis 1963.
Le mur du silence se fissure. "Deraa, c'est la Syrie", "Nous nous sacrifierions pour Deraa", "Dieu, la Syrie, la liberté et c'est tout"… Les slogans continuent de résonner à Deraa, dans la région de Harouan (Sud), où la contestation ne semble montrer aucun signe de faiblesse malgré la violente répression des autorités syriennes qui a fait plus de 100 morts en une semaine.
Il y a un mois pourtant, le chef de l'État syrien, Bachar al-Assad, assurait dans un
entretien au "Wall Street Journal" que son pays était prémuni contre toute forme de révolte. "Nous sommes en dehors de ça, certifiait-il en parlant des révolutions tunisienne et égyptienne. Les Syriens ne se rebellent pas. C’est une question d’idéologie."
Un système hermétique à la contestation
En fait d’idéologie, la population s’était résignée à des décennies de silence imposé d’une main de fer par le Baas, parti unique au pouvoir depuis 1963 qui a fait de la Syrie l’un des États les plus verrouillés de la région.
"Le système syrien n’accepte pas la contestation, a expliqué jeudi sur
les ondes de France Info Gilles Kepel, directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris. On a d’un côté un président qui est jeune, affable, qui aime parler avec les intellectuels et les universitaires, et, de l’autre, la résilience d’un système de pouvoir hérité du père [Hafez al-Assad] qui est absolument impitoyable."
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Bachar Al-Assad peut-il tenir ?
La dernière rébellion de Syriens remonte à 1982, à Hama, quatrième ville du pays. Le président de l’époque, Hafez al-Assad, père de Bachar, avait ordonné à l’armée d’écraser l’insurrection, faisant entre 10 000 et 25 000 morts. Durant les années 1980, près de 70 000 personnes ont été portées disparues.
Depuis la mise en place de l’état d’urgence en 1963, les manifestations sont interdites, les opposants politiques et intellectuels systématiquement emprisonnés. Près de 4 500 prisonniers politiques se trouveraient actuellement dans les geôles syriennes, d’après
la Fondation de défense des droits de l’Homme en Syrie.
"Les jeunes attendent un virage à 180 degrés"
Des gestes d'ouverture insuffisants, selon Mohammed Ajlani, directeur du Centre d’études stratégiques de Paris et spécialiste de la Syrie. "La jeunesse a trop attendu, affirme-t-il à FRANCE 24. Elle voulait que le président aille plus loin, plus vite dans les réformes, qu’il écarte tous les caciques qui se sont enrichis à l’époque de son père. Cela fait dix ans que la population attend. Les jeunes attendaient un virage à 180 degrés."
Arrivé à la tête du pays à la mort de son père en 2000, Bachar al-Assad avait réussi à imposer à la nomenklatura politico-militaire des réformes économiques d’importance, ouvrant ainsi la Syrie à l’économie de marché. Mais cette rapide libéralisation a surtout eu pour effet de creuser les inégalités sociales et d'enrichir les proches de la famille Al-Assad.
La Syrie n’a "pas encore basculé dans la zone rouge", estime Mohammed Ajlani, mais le temps presse. "Si Al-Assad prend des décisions économiques et sociales courageuses, une solution de sortie de crise s'offrira alors à lui qui passera par le compromis et la négociation. Si le pouvoir réprime de nouveau tout mouvement dans le sang, il ne fonctionnera plus très longtemps."