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La chute du "banquier des pauvres"

Le prix Nobel de la Paix 2006, Muhammad Yunus a été condamné par la justice du Bangladesh à quitter la direction de la Grameen Bank qu'il avait fondé. Muhammad Yunus, le pionnier du micro-crédit, dénonce un complot.

La justice du Bangladesh n’a pas eu peur du symbole. Prix Nobel de la Paix ou pas, Muhammad Yunus a été condamné, mardi, à quitter la banque qu’il a créée – la Grameen Bank - et qu’il dirige depuis 1983. La Haute cour du Bangladesh a entériné une décision prise la semaine dernière par la Banque centrale du pays.

Âgé de 70 ans, cet économiste, qui a démocratisé le micro-crédit pour les plus pauvres, est accusé de s’être maintenu à son poste sans en avoir demandé l’autorisation à la Banque centrale alors qu’il avait dépassé l’âge légal de la retraite (60 ans). De son côté, Muhammad Yunus clame qu’il s’agit là d’un coup monté de l’État pour prendre le contrôle de sa banque et a annoncé qu’il allait faire appel devant la Cour suprême du pays.

Il est loin, en tout cas, le temps où l’homme était considéré comme intouchable. Lorsqu’en 2006, il décroche le prix Nobel de la Paix, Muhammad Yunus gagne instantanément une renommée internationale et le surnom de "banquier des pauvres". A la tête de la Grameen Bank, il s’est spécialisé dans l’octroi de petits crédits à des personnes pauvres exclues du système bancaire.

Yunus a commencé par prêter 24 dollars à 42 femmes

Issu d’une famille musulmane, il s’est intéressé à la problématique de la réduction de la pauvreté peu après la famine qui a frappé le Bangladesh en 1974. Muhammad Yunus octroie son premier micro-crédit en 1976. Il prête alors, de sa propre poche, 24 dollars à 42 femmes d’un village du Bangladesh qui était obligées jusque là d’emprunter à des taux usuraires.

Ce pionnier de la microfinance a par la suite fait bon nombre d’émules, un peu partout dans le monde. Des institutions financières, aussi bien dans les pays en voie de développement que dans les États industrialisés, se sont mises à cette forme de crédit. En 2000, le président des Etats-Unis, Bill Clinton a même reconnu s’être inspiré des idées de Muhammad Yunus pour aider les populations les plus pauvres de l’Arkensas, État dont il a été le gouverneur entre 1983 et 1992, à pouvoir emprunter de l’argent.

En 2011, quelques 11 millions de pauvres dans le monde ont, selon une estimation faite par la Banque mondiale, profité d’un micro-crédit. Un succès chiffré qui n’a pas empêché, au fil des ans, les critiques de tomber, de plus en plus virulentes, aussi bien contre le micro-crédit que contre son principal promoteur, Muhammad Yunus.

Le micro-crédit en question

Au Bangladesh, la classe politique en place reproche surtout au prix Nobel de la paix d'avoir tenté, en 2007, de créer son propre parti. Il avait alors évoqué l'idée que le pays traversait une période de troubles politiques alors que le Premier ministre, Sheikh Hasina, était incarcéré pour extorsion de fonds. Cette dernière lui en a toujours tenu rigueur. 

Par ailleurs, un documentaire norvégien de décembre 2010 a affirmé que Muhammad Yunus a utilisé sa banque pour détourner des fonds. Le gouvernement norvégien, l’un des principaux investisseurs dans la Grameen Bank, a fini par blanchir Muhammad Yunus après une enquête sur ces accusations.

Son œuvre, le micro-crédit, a également été critiquée à plusieurs reprise. Dès 2002, le Wall Street Journal avait publié un reportage à charge affirmant qu’au nord du Bangladesh, 19% des prêts accordés n’étaient jamais remboursés.

La multiplication des institutions privées de micro-crédits entraîne également des dérives du système. En Inde, l’État d’Andhra Pradesh a même interdit plusieurs de ces sociétés accusées de pratiquer des taux usuraires. Plusieurs emprunteurs, incapables de rembourser se sont en effet suicidés. Des tragédies récupérées par les dirigeants du Bangladesh qui ont accusé Muhammad Yunus de "sucer le sang des plus pauvres".