Après les assassinats du gouverneur du Penjab et du ministre des Minorités, Sherry Rehman se sait menacée par ceux qui lui reprochent de vouloir amender la loi antiblasphème qui punit de mort quiconque insulte le prophète.
Les islamistes ont les yeux braqués sur elle. Sherry Rehman, 50 ans, parlementaire libérale du Pakistan Peoples Party (PPP), le parti au pouvoir, pourrait bien être la prochaine victime des extrémistes de Tehrik-e-Taliban, une mouvance islamiste au Pakistan. Et elle le sait.
Cette femme politique, qui milite pour une révision de la loi sur le blasphème, souhaite y supprimer la peine capitale – ajoutée en 1986 - prévue en cas d’offense au prophète Mahomet. Une hérésie en terre d’Islam que deux de ses confrères Salman Taseer, le gouverneur du Penjab, et Shahbaz Bhatti, ministre des Minorités, ont déjà payé de leur vie. Ils ont été respectivement assassinés le 4 janvier et le 2 mars dernier, à Islamabad, après avoir appelé à modifier cette loi qu’ils jugeaient "inique".
La députée ne compte pas se défiler même si elle apparaît désormais peu en public, pour des raisons de sécurité. "Pardon, peur de qui, où ? Je suis au Pakistan et j’y reste", a-t-elle affirmé dans une interview au Journal du Dimanche (JDD), le 7 mars. Selon le quotidien français, Sherry Rehman reçoit plus de 150 menaces de mort par courriel chaque jour. Ce n'est pas tout. En février dernier, un commerçant l’a même accusé d’impiété après que la député eut défendu l’amendement de la loi anti-blasphème dans un discours tenu en novembre 2010. Un tribunal a alors enregistré la plainte, mais n'a pas donné suite.
Le cas Asia Bibi a mis le feu aux poudres
Qu’à cela ne tienne, la député a maintenu la cap malgré les critiques qu'elle suscitait et les menaces qui la guettaient. "Les victimes de la loi sur le blasphème sont de plus en plus nombreuses, les histoires de plus en plus horribles. Comment voulez-vous les ignorer ?", se défend-t-elle dans des propos rapportés par le Guardian. "Il n’y aura jamais de bon moment pour s’y attaquer", rétorque-t-elle à ceux qui la jugent impétueuse et irréfléchie.
C’est vraisemblablement le cas d'Asia Bibi, cette chrétienne accusée de blasphème en novembre dernier, qui a mis le feu aux poudres et braqué les projecteurs sur Sherry Rehman, Salman Taseer et Shahbaz Bhatti. "Taseer était allé rencontrer Asia Bibi en prison, une véritable provocation pour les religieux, explique Mariam Abou Zahab spécialiste du Pakistan rattachée au Centre d’études et de recherche internationale (CERI), Bhatti l'a défendu en tant que ministre des Minorités où il était dans son rôle, et Rehman l’évoque longuement dans ses discours". Un parti pris qui peut coûter cher dans un pays "de plus en plus intolérant", souligne la spécialiste .
Poussée par son parti PPP, Sherry Rehman a finalement dû faire marche arrière. Elle a été contrainte de retirer son projet d’amendement le mois dernier. "Il faut savoir qu’au Pakistan, personne ne souhaite toucher à cette loi", explique la spécialiste, "une telle initiative relève du suicide politique".
Preuve s'il en est, les manifestations contre cette proposition d’amendement ont mobilisé plus de 40 000 personnes dimanche 9 janvier dernier à Karachi. "Touchez au prophète et vous avez des milliers de personnes dans la rue", note Mariam Abou Zahab.
Une femme "glamour"
Au-delà de cette affaire d'amendement, l’aplomb de Sherry Rehman n’est pas nouveau. Cette ancienne journaliste, rédactrice en chef du magazine pakistanais The Herald, a toujours fait valoir ses convictions, explique Karen Lajon, l’envoyée spéciale du JDD à Karachi. Formée à l’Université de Sussex, au sud de Londres, elle a étudié l’histoire, avant d'entamer une carrière parlementaire. Elle est devenue ministre de l’Information en 2008 avant de démissionner en 2009. Féministe, elle continue de défendre le droit des minorités, des femmes et la liberté d’expression. "C’est incontestablement une femme courageuse, occidentalisée et investie", confie Mariam Abou Zahab.
Peut-être même un peu provocatrice aux yeux d'une société conservatrice. En 2008, une vidéo qui montre la femme une cigarette à la main dans son bureau fit le tour du web et mit le Pakistan religieux dans tous ses états. Une attitude "glamour" selon les termes du Guardian qui n’est pas nouvelle. "Il est vrai que c’est une belle femme qui ne correspond pas vraiment à la société traditionaliste pakistanaise, elle peut donc être victime de certaines rumeurs", conclut la chercheuse du CERI. Désormais, il n'y a pas que des rumeurs dont elle pourrait être victime.