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À Lampedusa, les insulaires attendent le calme après la tempête médiatique

, envoyé spécial à Lampedusa, Italie – Depuis que la vague de contestation qui balaie le monde arabe a poussé des milliers de migrants vers le Nord, l'île italienne de Lampedusa est prise sous le feu des projecteurs. Mais ses habitants ne souhaitent qu'une chose : que le monde les oublie.

"Est-ce qu'il y a un 'café suspendu' pour moi ?" lance une voix masculine à la tenancière du Méditerranée, un bar de Lampedusa. Qu’on ne s’y méprenne pas : malgré son faux accent africain, cet homme, que le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, aurait certainement qualifié de "bronzé", n'est pas l'un des 6 000 migrants qui ont débarqué depuis février sur l’île italienne mais simplement un local qui s'amuse.

Sa boutade fait référence à une vieille tradition napolitaine qui veut que l'on paie un "caffè sospeso" ("café suspendu") aux clients qui n'auraient pas les moyens de se l'offrir. Elle reflète la bonhommie générale - bien que mêlée d'une pointe d'irritation - qui a prévalu à Lampedusa au cours des dernières semaines. C’est que les quelque 5 000 habitants de l'île, située à tout juste 200 kilomètres de la côte tunisienne, sont extrêmement fiers de la bonne réputation qu’ils se sont taillés auprès des migrants. Par le passé, ce sens de la solidarité leur a d’ailleurs valu une médaille d'or du mérite citoyen.

À la différence des Maltais, disent-ils, leurs bateaux ne refuseront jamais l'assistance à une embarcation perdue en mer - une obligation inscrite dans les accords sur les droits de l'Homme, dont l'Italie est signataire. Ils ne sont pas non plus ouvertement hostiles aux migrants arrivés par vagues d'Afrique du Nord au cours des dernières années. Essentiellement parce que "nous ne les voyons jamais", souligne le directeur du Grand Hôtel du Soleil.

Pour le tourisme, le mal est fait

Ce qu'ils dénoncent, en revanche, c'est l'agitation qui a entouré l’afflux massif de migrants fuyant les mouvements de contestation qui secouent le monde arabe. Depuis l'arrivée soudaine, le 12 février, de plus d'immigrants que l'île ne compte d'habitants, Lampedusa a vu déferler une marée de journalistes s’alarmant de l’invasion imminente d’immigrés nord-africains en territoire européen...

À la fin de février, les Tunisiens étaient omniprésents sur l’île, où on pouvait les voir jouer au football ou boire des cafés dans les bars de la ville. "S'ils étaient venus avec un drapeau, ils auraient pu conquérir l'île", s’amuse Roberta Lasagna, journaliste pour la chaîne italienne RAI. Mais les autorités ont rapidement déployé des bataillons de policiers, soldats et gardes-côtes venus transférer les migrants vers d'autres centres d'accueil du pays. Les quelques centaines d'étrangers toujours présents à Lampedusa, désormais largement confinés dans le centre d'accueil, sont de nouveau "invisibles".

Mais pour l'industrie du tourisme, qui emploie la majorité des insulaires, le mal est fait. "Tous les jours, je reçois des appels de personnes annulant leur réservation parce qu'ils ont peur de ce qu'ils ont entendu aux informations, raconte Umberto Gibilisco, qui dirige le centre touristique de La Roccia, situé juste à l'extérieur de l’unique ville de l'île.

Au moment de cet échange, le journal du soir titre justement sur les nouveaux migrants débarquant à Lampedusa." Des informations qui ne reflètent qu'en partie la réalité : lorsqu'ils approchent des côtes, les migrants sont remorqués jusqu'au port puis, après des examens médicaux, rapidement conduits en bus jusqu'au centre d'accueil de l'île, sans même qu'une sirène ne vienne perturber le calme de la ville", commente Umberto.

Au Méditerranée, la propriétaire, Silvana Lucà, affirme regretter les joyeux Tunisiens qui ont envahi son bar le mois dernier. "’Suspendu’ ou pas, j'avais toujours un café pour eux", dit-elle. Mais si les prédictions du gouvernement italien, qui a mis en garde contre un "exode biblique" de réfugiés libyens, a quelque chance de se concrétiser, elle peut commencer à faire des réserves.