Benghazi, deuxième ville du pays, n'a pas attendu les appels à manifester en Libye pour déclencher les hostilités envers le régime du colonel Kadhafi. Cette fronde anticipée n'a rien de surprenant dans ce bastion de l’opposition.
Dans la nuit de mardi à mercredi, 38 personnes ont été blessées dans la ville de Benghazi, en Libye, après des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Alors que se sont multipliés aujourd’hui des rassemblements à travers le pays pour une "Journée de la colère", cette fronde anticipée de la deuxième ville du pays a tout d’un symbole.
Hassan Al-Jahmi, un trentenaire originaire de Benghazi, est exilé en Suisse depuis bientôt dix ans. Il est l’auteur de l’appel au rassemblement de ce 17 février, qu’il a lancé à travers la création d’une page Facebook qui compte aujourd’hui plus de 20 000 adhérents.
Pour lui, "Benghazi l’insoumise" est le cœur de ce mouvement de contestation : "Benghazi n’est pas seulement frondeuse à l’égard de Kadhafi. C’est une ville qui, traditionnellement, s’est toujours opposée et dont les habitants ont toujours revendiqué une grande liberté de parole et d’opinion. Lorsque l’Italie avait la main sur le pays, jusqu’en 1943, les premières voix qui se sont élevées contre la colonisation venaient de Benghazi."
La singularité de Benghazi s’est affirmée à travers la conjugaison de plusieurs facteurs. "C’est la ville la plus cosmopolite du pays. Ici se retrouvent des populations qui proviennent de toute la Libye. Cette mixité explique à elle seule le caractère unique de la ville. Benghazi a apporté énormément à la Libye sur le plan culturel : des acteurs, des chanteurs, des écrivains. Ici, les gens aiment s’exprimer", développe-t-il.
Funeste héritage du massacre de la prison d'Abou Slim
Pour Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) situé à Genève, d’autres variables, plus récentes, ont fait de Benghazi la capitale de l’opposition au régime de Mouammar Kadhafi.
C’est le cas notamment du massacre de la prison d’Abou Slim, explique le politologue : "La stabilité de la Libye passe par une bonne gestion des éléments tribaux qui composent la sociologie démographique de Benghazi. Le régime a multiplié les maladresses, notamment lors de l’assassinat de 1 200 prisonniers dans la prison d’Abou Slim en 1996. Les autorités ont supprimé de nombreux représentants de ces tribus, ce qu’elles n’ont jamais officiellement reconnu. Mais le fait qu’une grande partie de ces personnes soient originaires de Benghazi a conforté la ville dans sa fronde traditionnelle contre le pouvoir."
Benghazi, Libye
Selon Human Rights Watch, la plupart des victimes de cette fusillade étaient originaires de Benghazi. Cet événement, qui traduit le traitement de faveur dont la ville et ses habitants font l’objet de la part du pouvoir, n’est pas isolé. Au plan économique aussi, Benghazi a régulièrement été laissée pour compte par le régime : "Benghazi a été exclue de tous les grands progrès politiques et économiques du pays, et notamment des revenus de la manne pétrolière, contrairement à Syrte ou Tripoli. Les hôpitaux de Benghazi ressemblent à des hôpitaux de campagne, les transports y sont très peu développés. C’est dans ce contexte d’humiliation perpétuelle que se sont forgés les principaux mouvements d’opposition. Benghazi a été mise de côté par le régime libyen car elle était perçue comme la ville qui avait osé défier Kadhafi."
Et les événements de mercredi ont gravé un peu plus encore dans le marbre cette image que Benghazi cultive : celle d’une ville rebelle, bastion de la fronde anti-Kadhafi.
it