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La fièvre de la cyberdissidence à l'assaut du régime de Kadhafi

S'opposer au dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, était inconcevable avant les révoltes populaires qui ont agité la Tunisie et l'Égypte. Encouragés par Internet, les dissidents libyens entendent bien imiter leurs voisins...

Cerné par deux révolutions populaires en Tunisie et en Égypte, la Libye, dirigée d’une main de fer par le colonel Mouammar Kadhafi, est contaminée à son tour par la fièvre de la cyberdissidence. Depuis plusieurs semaines, la jeunesse libyenne est en train d’exploiter la puissance de YouTube, Facebook et Twitter pour exprimer son opposition au régime. Un évènement sans précédent.

Depuis l’arrivée au pouvoir du "guide de la Jamahiriya libyenne" en 1969, la communauté internationale a difficilement obtenu des informations crédibles et indépendantes en provenance de cet État nord-africain, longtemps isolé diplomatiquement. Mais cette semaine, le site de partage de vidéos en ligne, YouTube, a été inondé d'images amateurs des violentes protestations qui se sont déroulées, dans la nuit de mardi à mercredi, à Benghazi, dans l'est du pays. Selon un dernier bilan, 38 personnes ont été blessées durant les échauffourées.

Diffusés par les médias, relayés par les internautes

Les vidéos ont été diffusées par les principaux médias internationaux et massivement relayées sur la Toile par les internautes via les réseaux sociaux Twitter et Facebook à la veille du "jour de colère" que les opposants libyens ont planifié pour ce jeudi.

Ces derniers ont invité la population à descendre dans les rues à travers une page Facebook intitulée "Révolte du 17 février 2011: jour de colère en Libye". Créé le 28 janvier par Hassan al-Djahmi, un dissident libyen exilé en Suisse, le groupe compte jusqu’ici plus de 14 000 fans.

"Internet a joué un rôle décisif pour répandre l’esprit de dissidence en Libye, explique Guma el-Gamaty, un écrivain libyen basé à Londres. Au cours des deux derniers mois, le nombre de jeunes qui ont rejoint les groupes Facebook et le réseau Twitter a explosé. Ils sont plusieurs dizaines de milliers à se connecter pour discuter et s’organiser sur Twitter", poursuit-il.

Le réseau télécom contrôlé par le fils de Kadhafi

À l’instar de plusieurs pays de la région, la Libye abrite une population très jeune. Près de 33 % des 6,5 millions de ses habitants ont moins de 14 ans. Mais contrairement à l’Égypte, qui, avec ses 80 millions d’habitants, demeure le pays arabe le plus peuplé, la Libye, avantagée par de solides réserves pétrolières, est parvenue à assurer un niveau de vie plus élevé à sa population et à maintenir des prix bas pour les produits de première nécessité. "Mais le manque d’infrastructures fait que le taux de pénétration du réseau Internet n’est pas très élevé", note El-Gamaty.

Et pour cause, la grande partie des infrastructures de la Jamahiriya libyenne, régie par un cocktail atypique de socialisme et d’islam, est nationalisée et contrôlée par une clique de proches du colonel Kadhafi. Le patron des compagnies publiques de télécommunications - Libyana et Al Madar, qui fournissent des services de téléphonie mobile et l’accès à Internet - n’est nul autre que Mohammed Mouammar Kadhafi, le fils aîné du "guide".

Twitter à la rescousse

Monde arabe : les raisons de la révolte

Par conséquent, l’accès au Web et à certains sites reste étroitement contrôlé par Tripoli. "Il y a trois mois, ils ont bloqué le site YouTube, à l’instar de Facebook quelques temps plutôt. On s’attend tous à ce qu’ils recommencent en coupant carrément la connexion Internet dans les prochains jours", affirme Mojahed Bossisy, un journaliste libyen basé au Qatar.

Malgré la censure, le site Twitter, particulièrement utilisé par les cyberdissidents tunisiens et égyptiens, reste néanmoins fonctionnel. À la veille du "jour de colère", de nombreux internautes se sont employés à indiquer aux Libyens les démarches à suivre pour contourner un éventuel blocage.

Du rap anti-Khadafi

Par ailleurs, le site libyen Khalas ! ("Ça suffit !"), lancé en 2009 par des Libyens exilés aux États-Unis, participe pleinement à la campagne d’opposition contre le régime dictatorial de Kadhafi, qu’il dénonce en langue anglaise et en arabe. Ce site a notamment offert une tribune au rappeur Ben Thabet, auteur de chansons incendiaires contre le régime, qui a appelé les Libyens à la révolte et à s'inspirer de la révolution tunisienne.

La plupart des observateurs s'accordent cependant à penser qu'un scénario d’escalade à l'égyptienne ou à la tunisienne est peu probable dans la Jamahiriya libyenne. "La tolérance zéro appliquée par le régime n’a pas permis l’émergence d’une opposition organisée ou reconnue. Pas plus qu’il n’existe d’institutions civiles, de syndicats, de liberté d’expression ou de presse", explique El-Gamaty.

Il existe toutefois une multitude d’ingrédients qui peuvent entretenir le vent de révolte en Libye : la jeunesse de la population, le taux élevé de chômage, la corruption généralisée du régime, la faiblesse du système de santé et une rancœur très répandue au sein de la population. El-Gamaty est l’un de ces nombreux dissidents libyens qui reconnaissent qu’il sera difficile de faire la révolution, mais pas impossible.

Dans "Al-Soal" ("La Question"), Ben Thabet chante : "Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les Libyens devraient révolter. Il se peut que ça ne soit pas la semaine prochaine, ni celle d’après, mais cela arrivera. Un jour, cela arrivera."