Émeutiers et forces de l'ordre se sont affrontés durant la nuit, à Benghazi (est), bastion de l'opposition libyenne. Des heurts qui interviennent à la veille d'une journée de manifestation contre le régime de Mouammar Kadhafi.
La nuit de mardi à mercredi a été particulièrement agitée à Benghazi, la deuxième ville de la Libye, où plusieurs centaines de personnes ont affronté les forces de police et des partisans du gouvernement à coups de pierres et de bombes incendiaires.
Les seules images de ces heurts dont on dispose sont celles postées par un vidéaste amateur sur le site YouTube, dans laquelle on peut voir des manifestants agiter des banderoles et entonner des slogans anti-gouvernementaux.
Trente-huit personnes ont été légèrement blessées, selon le directeur de l'hôpital Al-Jala de Benghazi. Quelques véhicules ont également été incendiés, rapportent les médias locaux.
D'après plusieurs témoignages, les forces de sécurité auraient utilisé des canons à eau et des véhicules lancés à vive allure en direction de la foule pour disperser les manifestants. Ces témoignages restent cependant difficiles à confirmer, en raison de la présence limitée de médias étrangers au sein du territoire libyen depuis le coup d’État du colonel Mouammar Kadhafi en 1969.
Une autre vidéo postée ce mercredi matin sur YouTube montre un regroupement de manifestants à proximité d’un poste de police de la ville de Benghazi, dans l'est du pays. Plusieurs coups de feu sont tirés, provoquant un mouvement de panique au sein de la foule.
Selon les autorités libyennes, le calme est revenu dans la matinée de mercredi. La télévision d’État libyenne a néanmoins répondu aux évènements de la nuit en diffusant des images de manifestations de soutien au régime dans la capitale, Tripoli, et plusieurs autres villes du pays.
"Journée de la colère"
Les échauffourées ont eu lieu à la veille d’une "journée de la colère". Cet appel à un soulèvement populaire contre le régime de Kadhafi, lancé via le réseau social Facebook, pourrait réunir plusieurs milliers de personnes. Le groupe dédié à l’organisation de ce rassemblement comptait 10 000 membres mercredi matin
Mouammar Kadhafi dirige la Libye d’une main de fer depuis le coup d'État du 1er septembre 1969 guidé par une doctrine mélangeant socialisme, panarabisme et laïcité.
Selon Abdullah Darrat, porte-parole du site libyen d’opposition Khalas !, interviewé par FRANCE 24, cet embrasement spontané aurait eu pour origine l’arrestation de l’avocat libyen et militant des droits de l’Homme Fethi Tarbel.
"Les émeutes, qui se sont déclenchées après la requête de libération de Fethi Tarbel, se sont rapidement muées en mouvement anti-Kadhafi. Il semblerait que ce mouvement de Benghazi se soit propagé à d’autres villes", explique-t-il.
L’avocat, arrêté "pour avoir répandu une rumeur selon laquelle la prison était en feu", selon le journal libyen "Quryna", est le porte-voix des familles des prisonniers tués dans des circonstances encore floues en 1996 dans la prison d’Abou Slim, à Tripoli. Selon Human Rights Watch, au moins 1 200 personnes, pour la plupart originaires de Benghazi, ont péri au cours de cette fusillade.
À en croire "Quryna", les manifestants auraient obtenu la libération de Tarbel dans la matinée. Selon l’agence Reuters, qui cite un défenseur des droits de l’Homme, 110 militants du groupe Libyan Islamic Fighting devraient être libérés d’Abou Slim où ils sont actuellement détenus. Une décision qui pourrait être directement liée aux événements de cette nuit.
Épiphénomène ou événement déclencheur ?
Benghazi, Libye
La ville de Benghazi, qui se trouve à un millier de kilomètres à l’est de Tripoli, est un bastion traditionnellement anti-Kadhafi. La ville, qui n’a pas profité d'un développement économique comparable aux autres grands pôles du pays, abrite de nombreux opposants au régime.
En entretien sur FRANCE 24, Hasni Abidi, du Centre d’études sur le monde arabe de Genève, en Suisse, estime que "Kadhafi n’est pas menacé à court terme, mais la situation est devenue très difficile pour lui […] Malgré toutes les démarches entreprises par le colonel […], les jeunes mais aussi des familles du massacre d’Abou Slim se sont mobilisés avant même la journée importante du 17 février."
Pour Hasni Abidi, la véritable question est de savoir si la fronde de Benghazi est en mesure de "contaminer une autre ville importante comme Tripoli". Un scénario d’autant plus difficile à imaginer que "la répression a été très dure cette nuit" et que le régime "n’hésite pas à tirer sur la foule, à emprisonner et même à torturer".
À voir les manifestants, qui ont scandé durant plusieurs heures de nombreux slogans, parmi lesquels "Le peuple veut faire tomber la corruption", Hasni Abidi considère malgré tout "que le mouvement est lancé".