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La contagion révolutionnaire gagne l'Égypte. Après le président tunisien le 14 janvier, le chef de l'État égyptien a été contraint à la démission sous la pression de la rue. Portrait d'un "raïs" qui a régné près de 30 ans sur le pays des Pharaons.

De la révolte à la révolution. Après 18 jours d’un mouvement de contestation sans précédent dans l’histoire de la République arabe d’Égypte, Hosni Moubarak s'est finalement résigné à quitter le pouvoir. Dans une allocution prononcée à la télévision d'État, le vice-président Omar Souleimane a annoncé la démission de l'homme fort du Caire. Le pouvoir a été confié au Conseil militaire suprême, chargé de conduire les affaires publiques "dans les circonstances difficiles que traverse le pays".

Dans un pays où plus de 50 millions de citoyens - soit près des deux tiers de la population - n’ont connu qu’un seul chef d’État, l'événement fait figure de cataclysme. Arrivé au pouvoir en 1981, au lendemain de l’assassinat du président Anouar al-Sadate, Hosni Moubarak a régné 30 années durant sur l’Égypte. Rien ne prédestinait pourtant celui que l’on appelait le "raïs" à cette longue carrière politique.

Ses premiers pas en politique

Né le 4 mai 1928 dans une famille bourgeoise du delta du Nil, Mohammed Hosni Moubarak fait ses classes dans l’armée de l’air, jusqu'à sa nomination, en 1972, au poste de commandant de l’armée de l’air et de ministre des Affaires militaires. Après la guerre du Kippour contre Israël, en 1973, il est rapidement promu général. Deux ans plus tard, le président de l’époque, Anouar el-Sadate, le nomme vice-président.

Hosni Moubarak est alors décrit comme un homme discipliné, travailleur, sans ambition ni charisme. Mais en six ans, l’homme "effacé" écoute, regarde, apprend. Quand Sadate meurt en 1981, assassiné par des islamistes radicaux hostiles à la signature de l'accord de paix signé entre l'Égypte et Israël en 1978, il est rompu aux pratiques du pouvoir. Une semaine plus tard, il est élu à la présidence.

Au début de son mandat, Hosni Moubarak semble s’orienter vers une politique plus souple que celle de son prédécesseur. Il fait par exemple libérer 1 500 membres de la confrérie islamique des Frères musulmans, emprisonnés sous Sadate. Mais rapidement, le président égyptien, qui craint l’émergence d’un mouvement islamiste, resserre la vis. Entre 1990 et 1997, la répression contre la confrérie atteint son paroxysme : 68 islamistes sont exécutés, 15 000 enfermés dans les geôles égyptiennes.

Une conception toute personnelle de la démocratie

L’homme fort du Caire s’appuie sur un redoutable appareil policier et sur un système politique dominé par sa formation, le Parti national démocrate (PND). L’opposition est réduite au silence. Moubarak est l’unique candidat aux présidentielles de 1987, 1993 et 1999, qu’il remporte dans un fauteuil avec plus de 95 % des voix.

En 2005, alors que la population montre de premiers signes de mécontentement, il fait modifier la Constitution pour permettre la tenue d’élections multipartites. Mais ce pluralisme n’est que de façade : Hosni Moubarak est réélu avec plus de 88 % des suffrages.

Dans le même temps, le leader égyptien met en place un programme d’ouverture économique. Son bilan est très mitigé : en 2011, plus de 40 % de la population vit encore avec moins de deux dollars par jour et la corruption reste forte.

L’Égypte au cœur de la scène internationale

Sur le plan diplomatique en revanche, le "raïs" fait de son pays un pilier modéré du monde arabe qu’il réussit à placer à nouveau sur la scène internationale.

Pays situé à la charnière de l’Afrique et du Proche-Orient, l’Égypte représente un pôle de stabilité particulièrement rassurant pour les Occidentaux. Si Hosni Moubarak n’a pu empêcher des attentats terroristes, le calme qu'il parvient à faire régner sur les bords du Nil lui permet aussi de jouer un rôle essentiel de médiateur dans la résolution des crises régionales, notamment dans le conflit israélo-palestinien.

La confiance que lui accordent les pays arabes finit toutefois par s’étioler, le coup de grâce étant donné par le raid mené par Israël sur la bande de Gaza entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009. L’Égypte refuse alors d’ouvrir entièrement le passage de Rafah, qui relie le pays à la bande de Gaza, et détruit les tunnels qui servent à approvisionner l'enclave palestinienne en nourriture, en médicaments, en essence ou en armes. Ces décisions provoquent la colère de la population, qui manifeste dans les rues du Caire et devant les ambassades égyptiennes au Moyen-Orient.

"Ça suffit !"

Sur le plan intérieur, la contestation grandit. La classe ouvrière peine à survivre. Créé en 2004, le mouvement d’opposition Kifaya ("Ça suffit"), qui regroupe des opposants de diverses tendances, organise des manifestations.

L’ascension rapide du second fils d’Hosni Moubarak, Gamal, au sein du parti présidentiel fait également grincer des dents. Tous y voient la main du "raïs" tentant d’organiser sa succession, alors qu’une élection présidentielle est prévue en septembre 2011. Les deux principaux partis d’opposition, les Frères musulmans et le parti libéral Wafd, ont boycotté le second tour des législatives de décembre 2010, accusant le PND de fraudes.

Galvanisée par la révolution tunisienne qui entraîna la chute de l’homme fort de Tunis, Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011, la rue égyptienne se mobilise. À la fin de janvier, des milliers d’Égyptiens hostiles au régime envahissent les rues du Caire, d’Alexandrie et de Suez pour réclamer le départ du vieux président, alors âgé de 82 ans.

La chute du "raïs"

Installés sur la place Tahrir, en plein centre de la capitale, les manifestants sont progressivement rejoints par les partis historiques d’opposition ainsi que par les Frères musulmans. Craignant un scénario à la tunisienne, Hosni Moubarak tente d'abord de lâcher du lest pour sauver son trône. Le 1er février, lors d’une allocution télévisée, il annonce qu’il ne briguera pas de nouveau mandat lors de la présidentielle prévue pour septembre. Quelques jours plus tard, le bureau exécutif du PND démissionne en bloc. Parmi les partants figure notamment son fils Gamal... Un geste destiné à montrer au peuple que le spectre d'une succession dynastique est définitivement écarté.

Mais aux yeux des opposants, ces concessions restent bien insuffisantes. Malgré une répression accrue, ceux-ci maintiennent la pression sur le pouvoir, promettant de ne rentrer chez eux qu'une fois le "raïs" parti.  Ce vendredi 11 février, ils pourront regagner leur foyer...