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Les journalistes égyptiens tentent à leur tour de faire leur révolution

À la faveur du mouvement de contestation entamé le 25 janvier en Égypte, les médias d'État se font plus critiques à l'égard du pouvoir. Un ton nouveau qui n'est pourtant pas encore synonyme de véritable liberté d'expression dans le pays.

Un journaliste vedette de la télévision nationale chassé de la place Tahrir, des directeurs de la rédaction appelés à la démission, une ligne éditoriale bouleversée du jour au lendemain... Les journalistes égyptiens travaillant pour les médias d'État tentent, eux aussi, de faire leur révolution.

"Pendant les 10 premiers jours du mouvement de contestation, la couverture des évènements par les médias égyptiens a été honteuse, dénonce Rasha Abdulla, directrice du programme Journalisme et communication de masse de l'université américaine du Caire, citée par le quotidien américain "The Washington Post". C'était comme s'ils vivaient sur une autre planète."

Depuis, les choses ont commencé à changer. "Le changement est radical, confirme Waël Qandil, directeur de la rédaction du quotidien indépendant "Al-Shourouk". Les rédacteurs en chef qui passaient leur temps à faire des courbettes au pouvoir appellent à des élections transparentes et les médias officiels ont désormais le droit de traiter avec les membres des Frères musulmans, qui étaient jusque là exclus du paysage médiatique."

"La révolution à Al-Ahram !"

À "Rose el-Youssef", l'un des quatre principaux quotidiens gouvernementaux, les salariés réclament la démission de leur rédacteur en chef, Abdallah Kamal, et du directeur de la rédaction, Karam Gabr. Pour la deuxième journée consécutive, journalistes et employés ont manifesté mercredi devant le siège du journal, empêchant la direction de rejoindre ses bureaux. À "Al-Jumhuriya", un autre quotidien d'État, l'ambiance est la même, le rédacteur en chef Ali Ibrahim étant désavoué par son staff.

Au sein du quotidien "Al-Ahram", le plus distribué en Égypte, la tension est également vive. Selon le site internet du journal, plus d'une centaine de salariés se sont réunis dans le hall du bâtiment, mardi, pour réclamer des contrats permanents. "La révolution partout en Égypte, la révolution à 'Al-Ahram' !", ont-ils scandé, reprenant également des slogans contre la corruption mais aussi contre les responsables du journal.

Leur rédacteur en chef, Omar Saraya, a pourtant effectué ces derniers jours un virage à 180 degrés. "Jusqu'à présent, il était un pilier du régime du président Hosni Moubarak, explique Tamer Ezzedine, correspondant de FRANCE 24 au Caire. Il se montre maintenant favorable aux manifestants." Dans une tribune, Omar Saraya a salué la "noblesse" de la révolution, appelant le régime à mettre rapidement en œuvre des réformes.

Mais ces revirements de dernière minute ne sont pas toujours payants. Le présentateur vedette de la télévision égyptienne, Amr Adib, venu parler à ceux qui campent depuis plus de deux semaines dans le centre du Caire, a été bousculé et insulté, avant d'être chassé de la place Tahrir.

"Prendre le train en marche"

Les journalistes de la radio et de la télévision d'État ont, de leur côté, tenté de manifester mercredi pour dénoncer la couverture des récents évènements sur leur média. "Le rassemblement n'a pas pu avoir lieu, ils n'étaient qu'une quarantaine au siège de la radio-télévision, indique Tamer Ezzedine. Mais plusieurs groupes se sont constitués sur Facebook pour dire qu'ils n'acceptaient plus les mensonges qui étaient diffusés."

Autre journaliste dans la ligne de mire de la profession, Makram Mohamad Ahmad, président du syndicat des journalistes. Comme les responsables des médias officiels, celui-ci a été nommé par le chef de l'État. Lors d'une manifestation devant le siège du syndicat, des membres de l'organisation l'ont appelé à quitter son poste. Ils reprochent également au syndicat de ne pas avoir exprimé sa solidarité avec le journaliste égyptien Ahmad Mohamad Mahmoud, tué alors qu'il couvrait le mouvement de protestation.

Selon sa femme, Ahmad Mohamad Mahmoud filmait des affrontements depuis le balcon de son bureau lorsque les forces de sécurité lui ont tiré dessus, le visant à la tête, le 29 janvier. Il est décédé six jours plus tard des suites de ses blessures.

Pour Waël Qandil, si le changement de ton est réel, il est encore trop tôt pour parler d'une véritable liberté d'expression. "Les médias d'État suivent l'évolution du discours officiel, explique-t-il, ils essaient simplement de prendre le train en marche. Mais ceux qui feraient usage d'une réelle liberté d'expression seraient toujours la cible d'attaques du pouvoir."