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"Je m'inquiète de la recrudescence des violences dans les deux camps"

Un rassemblement d'artistes a été brutalement réprimé ce mardi devant le théâtre municipal de Tunis. Fadhel Jaïbi, figure du théâtre arabe, dénonce les exactions policières qui ont fait plusieurs dizaines de victimes depuis le 17 décembre.

Des artistes et intellectuels tunisiens ont voulu se réunir ce mardi en milieu de journée devant le théâtre municipal de Tunis, situé avenue Habib Bourguiba, en plein cœur de la capitale tunisienne, pour protester contre la répression brutale de la part des autorités contre mouvement de contestation qui secoue le pays. Fadhel Jaïbi, metteur en scène et réalisateur tunisien, se trouvait parmi eux. Il raconte la méthode employée par la police pour empêcher le rassemblement de se former.

France24.com : Que s'est-il passé lorsque vous vous êtes retrouvés, avec les autres artistes, devant le théâtre ?

Fadhel Jaïbi : Avant mon arrivée, des policiers avaient déjà interpellé nos amis, qui nous attendaient dans des cafés avoisinants. Ils les ont bousculés, ont renversé leurs boissons... Une altercation verbale a commencé. Puis nous nous sommes retrouvés sur le trottoir en face du théâtre, car le bâtiment lui-même était encerclé par les forces de l'ordre.

Les policiers sont d'abord venus parlementer très calmement parce que nous sommes des figures publiques, mais au bout de 30 secondes, ils ont pris un ton plus ferme, plus menaçant. Et ensuite ils ont chargé pour nous disperser.

Nous n'étions que quelques dizaines, car beaucoup de gens avaient été bloqués dans les rues alentours. La disproportion entre nous et les forces de l'ordre était inimaginable ! Nous n'étions ni armés, ni vêtus de tenues de camouflage, comme certains l'ont dit. Mais la police a poussé, frappé, insulté les gens. La comédienne Raja Ben Ammar a tenté de résister, elle disait à la police de ne pas la toucher, ce qui est légitime. Elle a été molestée, traînée par terre, elle est couverte de bleus. Un jeune réalisateur, Nasreddine Sehili, a eu le bras cassé. Un certain nombre de personnes se sont ensuite rabattues vers un autre espace culturel privé, El Teatro.

France24.com : Pourquoi aviez-vous décidé de vous rassembler ?

Fadhel Jaïbi : Nous voulions exprimer notre solidarité avec les manifestants d'une manière symbolique et silencieuse. Nous n'avions prévu ni slogan ni pancarte. Nous ne sommes pas dans l'opposition, nous n'avons pas la réputation d'être des casseurs. Nous voulions juste dire que les artistes et intellectuels dénoncent les exactions policières [Les émeutes qui secouent le pays depuis le 17 décembre ont fait entre 21 et 50 victimes, selon les derniers bilans, NDLR]

France24.com : Avez-vous été surpris par la violence dont a fait preuve la police à votre égard ?

Fadhel Jaïbi : Oui et non. Je pensais connaître notre police, mais j'imaginais qu'elle serait plus souple et qu'elle tolèrerait notre présence. Mais elle était complètement déchaînée. 

France24.com : Quel regard portez-vous sur la situation politique en Tunisie ?

Fadhel Jaïbi : Ce qui se passe est totalement inédit. Je ne sais pas comment ça va évoluer, il y a des appels à la grève générale cette semaine. Je m'inquiète surtout de la recrudescence des violences des deux côtés [du côté des manifestants comme du pouvoir, NDLR].

Au début, ce mouvement était totalement pacifique. Aujourd'hui il y a peut-être des casseurs, je ne sais pas. Mais dans tous les cas, on ne tire pas à bout portant, même sur un casseur. Une vie humaine vaut plus qu'une vitrine ! Je regarde donc ces évènements avec inquiétude et circonspection, car je ne sais pas du tout de quoi demain sera fait.