Le ministre libanais du Travail, Boutros Harb (photo), a présenté jeudi un projet de loi visant à interdire des transactions immobilières entre chrétiens et musulmans. Une initiative qui a déclenché, sans surprise, de vives réactions.
Le ministre libanais du Travail, Boutros Harb a présenté jeudi un projet de loi visant à interdire pour une durée de quinze ans les ventes de biens immobiliers au Liban "entre individus de confessions différentes n’appartenant pas à une même religion". En clair entre chrétiens et musulmans.
Pour motiver cette initiative atypique, le ministre chrétien met en cause, dans un document remis au secrétariat du Conseil des ministres, "des achats et des ventes, quasi organisés par des individus ou des compagnies détenues par des individus issus d’une confession déterminée, de terrains appartenant à des personnes de confession différente". Selon le même document, le projet de loi vise à préserver "la formule de coexistence et d’unité nationale, et empêcher la ségrégation confessionnelle, géographique, sociale, politique et économique".
Le Hezbollah en ligne de mire
Reste à comprendre pour quelles raisons ce projet lie ainsi le droit à la propriété à l’appartenance religieuse dont l’évocation même est inimaginable en Occident. L’entourage du ministre, cité par le site Web du magazine mensuel Le Commerce du Levant, explique que "des milliers de mètres carrés ont été récemment achetés par des membres d’une confession donnée (NDLR : des chiites du Hezbollah) à des propriétaires d’une autre confession (NDLR : des chrétiens), grâce à des fonds étrangers, dans un but politique clair, d’où la nécessité de réagir".
Interrogé par France24.com, Paul Salem, politologue et directeur du centre Carnegie pour le Moyen-Orient, évoque de son côté des questions stratégiques liées au Hezbollah. Selon lui, le parti chiite de Hassan Nasrallah "se sent à l’étroit dans ses zones d’influence, notamment dans la banlieue sud de Beyrouth". En effet, les territoires contrôlés par le Hezbollah, soit la banlieue sud de la capitale, la Bekaa et le Sud-Liban, n’ont pas de lien continu, puisqu’ils sont séparés par des régions habitées par d’autres communautés. "C’est peut-être pour relier ces territoires que le parti est en train d’acquérir ces terrains. A contrario, pour protéger les quartiers sunnites de Beyrouth de l’expansion chiite, la famille du Premier ministre actuel, Saad Hariri, achète également beaucoup de terrains", analyse Paul Salem.
"Une réaction outrancière à une situation inacceptable"
"Le Hezbollah chiite est en train d’acheter beaucoup de terrains dans certaines régions chrétiennes" ajoute l’ancien député chrétien du Nord, Samir Frangié, contacté par France 24.com. Et le risque de voir ces terrains transformés en des camps militaires par ce groupe armé a provoqué des inquiétudes légitimes". Mais Frangié, bien que membre de la même alliance politique que le ministre Boutros Harb, regrette son initiative. "Ce projet va relancer un débat communautaire inutile pour le pays qui est déjà sous tension. Même si les motivations sont compréhensibles, il s’agit d’une réaction outrancière à une situation inacceptable, puisqu’elle entend prévenir des troubles communautaires en s’appuyant sur une solution communautariste", déclare l'ancien député.
Sans surprise, ce projet de loi a déclenché de vives réactions au sein de la classe politique d’un pays où le communautarisme est pourtant roi. Le député du Chouf et leader de la communauté druze Walid Joumblatt a condamné cette initiative, qu’il a qualifiée de "folie". Par ailleurs, même si le député sunnite de Beyrouth, Tamam Salam, a affirmé dans un entretien, accordé au site d’information libanais Iloubnan.info, comprendre "l'objectif du ministre Harb qui veut préserver et protéger la présence chrétienne au Liban", il a néanmoins estimé que "cette démarche favorise la division du pays et doit être retirée".