La justice russe doit rendre lundi le jugement du deuxième procès intenté à l'ex-patron du géant pétrolier russe Ioukos. Ce célèbre opposant au pouvoir de Vladimir Poutine purge déjà une peine de travaux forcés en Sibérie. Portrait.
"L'amour des chiens est le seul sentiment sincère et bon qui traverse sa carapace de glace." C’est en ces termes plus qu’audacieux que l’ex-magnat du pétrole Mikhaïl Khodorkovski dépeint Vladimir Poutine, l'homme politique le plus puissant de Russie. Une sortie à la mesure de sa défiance à l’égard de l’omnipotent Premier ministre russe... Dans une tribune publiée vendredi par le quotidien "Nezavissimaïa Gazeta", le prisonnier le plus célèbre de Russie qualifie Poutine de dirigeant pitoyable mais dangereux. Et ce, alors que la justice doit rendre, lundi, le jugement du deuxième procès qui lui a été intenté. L'évènement aurait dû intervenir le 15 décembre, mais il a été reporté sans explications. Son principal associé, Platon Lebedev, sera à ses côtés dans le box des accusés.
Travaux forcés
L’ancien patron de Ioukos, la plus grande compagnie pétrolière russe, est jugé depuis le mois de mars 2009 pour le détournement de plusieurs centaines de millions de tonnes d'or noir. Le parquet a requis 14 ans de camp à son encontre, alors qu’il purge déjà une peine de huit ans de travaux forcés en Sibérie, à 6 000 kilomètres de Moscou, pour escroquerie et évasion fiscale.
La chute de Khodorkovski remonte au 25 octobre 2003, lorsqu’il est arrêté dans un aéroport sibérien par des agents de la police secrète. Sa société, Ioukos-Menatep, opportunément bâtie sur les ruines de l'empire soviétique, était alors à son apogée. Au point de produire, à l’époque, davantage de pétrole que le Qatar... Ce n’est toutefois pas le succès foudroyant de l'entreprise de l'oligarque qui est en cause, mais sa contestation du pouvoir grandissant de Vladimir Poutine, élu président de la Fédération de Russie en 2000. La mère de Mikhaïl Khodorkovski, Maria, estime ainsi que le chef du Kremlin est à l’origine des malheurs de son fils, parce qu’il le craint. "C’était la peur face à quelqu’un qui a les capacités d’un leader, quelqu’un qui est capable de rassembler la société", disait-elle à FRANCE 24 en 2009.
Dans la ligne de mire de Poutine
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Et pour cause : Khodorkovski ne s’intéresse pas qu'au pétrole. À l'époque, il commence à financer des partis d’opposition, lance une croisade anti-corruption et plaide pour la privatisation de certains oléoducs. Des initiatives très mal perçues par le pouvoir. Soucieux de rétablir le contrôle de l'État sur les juteux actifs pétroliers du pays, de marquer son autorité et de modérer les ambitions politiques d’un opposant riche et puissant, le Kremlin ne tarde pas à répliquer. Une campagne judiciaire et fiscale est lancée contre celui qu’il considère alors comme son ennemi numéro un. Elle aboutit au démantèlement de Ioukos en 2003 - au profit de quelques proches du pouvoir -, et à une condamnation à huit ans de travaux forcés de son patron.
"Khodorkovski est en prison parce que certains oligarques doivent être en prison : il faut montrer les nouvelles règles du jeu", expliquait en 2009 le député pro-Kremlin Sergueï Markov à FRANCE 24. Même son de cloche du côté de Vladimir Poutine, qui a déclaré le 16 décembre dernier que la place de M. Khodorkovski était "en prison" au cours d’une émission de télévision. "Tout voleur doit aller en prison", a-t-il affirmé, estimant que les "crimes" de Khodorkovski avaient été "prouvés par la justice". La défense et des ONG internationales l’ont aussitôt accusé d'ingérence dans le procès.
Mais face à un tel adversaire, Khodorkovski ne plie pas. "Il suffit de voir les images de son deuxième procès : il n’est pas cassé, il est digne et se tient avec beaucoup d’élégance et de courage", relevait récemment Cécile Vaissié, professeur à l’université de Rennes et spécialiste du monde intellectuel russe.
Obama s’en mêle
Si, au début de l’affaire, l’opinion russe n’a fait montre que d'une compassion très limitée à l’égard d’un ex-milliardaire, certaines franges de la société ne sont pas dupes. "Des intellectuels, des écrivains de premier rang, des journalistes et des avocats s’élèvent pour dénoncer une vengeance personnelle de Vladimir Poutine", poursuit Cécile Vaissié.
Au sein du concert de protestations occidentales, l’ancien magnat du pétrole peut se targuer d'avoir réussi à attirer jusqu'à l’attention du président américain Barack Obama. Ce dernier avait qualifié, en juillet dernier, de "bizarres" les nouvelles accusations contre Khodorkovski et Lebedev apparues "des années après leur emprisonnement et au moment où ils pourraient être graciés". Pas sûr que cette déclaration influence les juges. Pour nombre d’observateurs, le verdict du procès est, en effet, couru d’avance…