
Selon le rapport du professeur Piarroux, épidémiologiste mandaté par la France en Haïti, l'épidémie de choléra est partie de la ville de Mirebalais, à proximité du camp de la Minustah. Une version démentie par l'ONU.
Les Nations unies ont-elles dissimulé des informations sur le foyer d’origine du choléra en Haïti pour couvrir leurs troupes sur place ? C’est, pour l’heure, le soupçon qui pèse sur l’organisation mondiale après la publication, sur le site du Monde.fr, le 5 décembre dernier, d’un rapport français mené par le professeur Renaud Piarroux désignant la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) comme origine possible de l’apparition du choléra dans le pays.
itSelon cet épidémiologiste rattaché au CHU de Marseille et envoyé en mission par Paris à la demande du ministère haïtien de la Santé, le constat est catégorique : la souche est asiatique et le foyer d’origine du choléra se situe aux abords du camp du bataillon népalais de la Minustah, près de Mirebalais, dans le département du Centre, autour du 14 octobre. Elle ne serait donc liée ni au séisme ni à une souche environnementale mais aurait bien été "importée".
Une rumeur qui n’en serait plus une
Depuis quelques semaines, une rumeur persistante qui imputait déjà la responsabilité de l'apparition du choléra aux casques bleus népalais avait provoqué de violents heurts entre la population et les militaires de la paix et de nombreuses manifestations avaient éclaté dans tout le pays pour exiger le retrait de la Minustah.
Une rumeur aujourd’hui corroborée par les conclusions du rapport du professeur Piarroux. "Le choléra s’est propagé de manière explosive du fait de la contamination de l’eau par un déversement d’une quantité phénoménale de matières fécales de patients atteints par la maladie", explique le professeur, après avoir inspecté le village de Meille, en novembre.
"Or, la bactérie n’existe pas en Haïti, les conclusions s’imposent d’elles-mêmes : les Haïtiens ne sont de toute évidence pas responsables de l’épidémie".
Sur place, le scientifique dirige alors ses recherches vers le camp de l’ONU où cohabitent des centaines de soldats népalais, arrivés en septembre, période où sévit une épidémie de choléra - endémique - à Katmandou. "Il n’est pas impossible de penser que les soldats onusiens aient emporté dans leur bagage la dangereuse bactérie", estime-t-il. Une fois sur place, les malades auraient pu contaminer les eaux de l’Artibonite. Une eau utilisée et bue par la population. En quelques jours, des milliers de cas sont signalés dans la région.
Démentis catégoriques de l'ONU et de l'armée népalaise
Ce scénario est fermement rejeté par les responsables du bataillon népalais et l’ONU qui ont contre-attaqué en affirmant qu’aucune "preuve concluante" ne venait appuyer les révélations du rapport. Selon leur enquête menée par le Laboratoire national haïtien de santé publique (LNSP) et les Centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC), la souche de choléra est bien identique à celle trouvée en Asie du Sud, mais "en raison de la rapidité des mouvements des souches de choléra à travers le monde, il est difficile voire impossible de déterminer avec précision, la manière dont le choléra est arrivé en Haïti", indique le communiqué de presse de la Minustah, le 2 novembre.
Selon les cartes visibles sur le site de l’ONU qui retracent le parcours de l'épidémie (voir carte ci-contre), le choléra trouve son point de départ dans la province de l’Artibonite et non dans le Centre, où se situe Mirebalais.
"Des tests des échantillons d’eaux prélevés à l’intérieur de la base militaire à Mirebalais et aux abords de la rivière, conduits le 22 octobre et le 26 octobre, se sont tous révélés négatifs", explique Vincenzo Pugliese, le porte-parole de la Minustah, contacté par France24. com "Nos soldats népalais sont tous arrivés en pleine forme sur le territoire haïtien, ils avaient subi une batterie de tests préliminaires (tests urinaires, sanguins, ndlr)", renchérit-il. "Mais aucun d’eux n’a présenté les symptômes du choléra, à savoir des vomissements ou de fortes diarrhées, aucun d’eux n’a donc eu besoin d’être dépisté." Un argument peu probant selon l’Organisation mondiale de la santé qui rappelle qu’environ 75% des personnes infectées par le choléra ne présentent pas de symptômes et peuvent répandre l'infection dans l'environnement et contaminer d'autres personnes pendant deux semaines.
"L’ONU n’a rien à cacher puisque rien n’a été dissimulé"
Prudent, Renaud Piarroux ne préfère pas évoquer la thèse du mensonge politique mais il reste sceptique face aux démentis de l’ONU. "Il est difficile d’imaginer que les officiers et les soignants du camp de la Minustah n’aient pas eu connaissance de la suspicion de choléra. Dans cette hypothèse, rien ne peut exclure que des mesures aient été prises pour éliminer les matières fécales suspectes et effacer les traces d’une épidémie de choléra parmi les soldats", explique-t-il à France24.com. "Des témoins m’ont affirmé qu’ils avaient vu des tuyaux du camp déverser un liquide nauséabond dans le fleuve. Savoir ensuite si les soldats ont des choses à cacher ne relève pas de mes compétences."
it"L’ONU n’a rien à cacher puisque rien n’a été dissimulé", martèle, de son côté, le porte-parole de la Minustah. "Nous n’avons rien désinfecté. Nous faisons appel à une société privée haïtienne (Sanco) pour gérer les déchets de la base militaire. Jamais, les fosses sceptiques du camp n’ont été déversées dans l’Artibonite".
Selon le dernier bilan disponible, le choléra a touché près de 100 000 personnes en Haïti et fait 2 120 morts dans le pays déjà dévasté par le tremblement de terre du 12 janvier dernier. Paris refuse toujours de s’exprimer sur les conclusions du rapport controversé du spécialiste en pathologie infectieuse. Seul le Quai d’Orsay a fait savoir qu’il avait transmis le rapport du professeur Piarroux aux Nations unies. Ces derniers ont décidé d’ouvrir une enquête.