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Les autorités redoutent que de nouveaux heurts opposent nationalistes et immigrés

Des appels à manifester ce mercredi ont circulé sur Internet à l'initiative de personnes originaires d'Asie centrale. En réaction, une organisation d'extrême-droite a invité les Russes à sortir armés. Les autorités s'inquiètent.

Le grand mufti de Russie est monté au créneau, mardi, pour tenter d'enrayer les tensions xénophobes qui agitent le pays. Alors que des troubles ont éclaté samedi en plein cœur de Moscou, où des milliers de nationalistes ont scandé des slogans nazis, des appels à manifester ce mercredi ont été lancés par des immigrés originaires d'Asie centrale.

"Les heurts de ces derniers jours à Moscou et dans d'autres villes de Russie, accompagnés de violences, de slogans nazis et même de déclarations blasphématoires, méritent une condamnation sévère des chefs de toutes les confessions, a déclaré le grand mufti, Ravil Gaïnoutdine, dans un communiqué. Ces événements montrent le niveau inacceptable des sentiments anti-caucasiens, anti-islamiques, anti-immigrants dans la société russe".

Difficile d'évaluer la pénétration des idées xénophobes

Samedi soir, quelque 5 500 supporteurs de football se sont réunis près du Kremlin, dans le centre de Moscou, afin de rendre hommage au fan du club le Spartak, Egor Sviridov, tué dans la nuit du 5 décembre lors d'une bagarre avec des jeunes Caucasiens. Mais le rassemblement a rapidement dégénéré en violences entre manifestants et ressortissants d'Asie centrale. Des heurts similaires ont éclaté dans d'autres villes du pays et notamment à Saint-Pétersbourg.

"Il existe en Russie des mouvements liés au courant néo-nazi qui sont ultra violents, explique David Teurtrie, chercheur au Centre de recherches Europes-Eurasie de l’Inalco et auteur de "Géopolitique de la Russie". Ils commettent des assassinats tous les ans, contre ceux qui n'ont pas un faciès européen ou slave. Il y a bien sûr une pénétration de ces idées xénophobes au-delà de ces groupuscules, mais il est difficile de dire dans quelle proportion. Cette minorité agissante ne représente pas la population".

Ces mouvements, nés après la chute de l'URSS et de l'idéologie communiste, se nourrissent de la crise économique et d'une immigration forte. "Une grande partie de la jeunesse est paupérisée et livrée à elle-même, ajoute David Teutrie. Et alors que la Russie était traditionnellement un pays d'émigration, elle est à l'inverse, depuis les années 1990, l'un des plus importants pays d'immigration du monde [le second aujourd’hui, après les Etats-Unis, ndlr]. Comme dans les autres pays européens, cela peut alimenter des crispations autour de l'identité".

En novembre, l'ONG russe Sova a fait état de cinq personnes tuées et au moins huit blessés dans des attaques à caractère raciste ou néo-nazi. Depuis le début de l'année, 35 personnes sont mortes et près de 300 blessées dans de telles violences. Les personnes originaires d'Asie centrale en sont la cible principale.

Réactions parfois ambigues de la part des autorités

Depuis les incidents de ce week-end, des appels à manifester mercredi ont circulé sur Internet, à l'initiative de personnes originaires du Caucase. En réaction, une organisation d'extrême-droite, le Mouvement contre l'immigration clandestine, a appelé mardi les Russes à sortir armés, tout en recommandant aux femmes, aux personnes âgées et aux enfants "de ne pas sortir de leur appartement". Dans un communiqué, l'organisation s'inquiète de la venue à Moscou de "milliers d'islamistes radicaux" du Caucase, "pour châtier les Moscovites".

Si de nouvelles manifestations ont lieu, la réaction des autorités sera certainement l'objet d'attention, la police étant accusée par certains d'indulgence à l'égard des groupes nationalistes. Le président Dmitri Medvedev a promis lundi que les responsables des "pogroms" contre les Caucasiens seraient punis, appelant les forces de l'ordre à la plus grande sévérité.

"Jusqu'au début des années 2000, ces mouvements extrémistes se sont développés dans une grande indifférence de l'Etat, qui était totalement affaibli, assure David Teurtrie. Dans les toutes dernières années, il semble qu'il y ait eu une certaine prise de conscience des autorités, mais cela demande à être vérifié."

"La situation sera grave si ces violences se poursuivent et si les Russes penchent pour cette vision nationaliste, poursuit David Teurtrie. La Russie est un pays multiethnique par son territoire et sa population ; les Tchétchènes ou les Tatars sont chez eux. Mais nous n'en sommes pas encore là", tempère-t-il.