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"L’hypothèse d’un gouvernement d’union nationale est hautement improbable"

La situation est toujours bloquée en Côte d’Ivoire, malgré les pressions internationales. L’envoyé spécial à Abidjan du magazine Jeune Afrique, Pascal Airault, ne croit pas qu'un accord entre Gbagbo et Ouattara soit possible.

Pascal Airault couvre depuis des années l'actualité en Côte d'Ivoire pour l'hebdomadaire Jeune Afrique.

La crise ivoirienne depuis le second tour de la présidentielle

- 28 novembre : second tour de l'élection présidentielle. Trois personnes tuées et plusieurs incidents localisés. Les deux camps s'accusent mutuellement d'avoir empêché leurs électeurs de voter dans certaines régions. La veille, un couvre-feu nocturne avait été instauré par un décret de Laurent Gbagbo.

- 2 décembre : La CEI annonce la victoire d’Alassane Ouattara avec 54,1% des voix. Huit morts lors d'une attaque nocturne dans une permanence du RHDP à Abidjan. Les autorités ferment les frontières et interdisent la diffusion des chaînes de télévision étrangères d'information.

- 3 décembre : Laurent Gbagbo est proclamé vainqueur avec 51,45% des suffrages par le Conseil constitutionnel. L'ONU, l'Union européenne, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne reconnaissent la victoire de Ouattara.

- 4 décembre : Durant le couvre-feu, deux personnes sont tuées dans le sud d’Abidjan. Laurent Gbagbo est investi chef de l'État, pendant qu’Alassane Ouattara prête serment par courrier "en qualité de président".

- 5 décembre : L’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki, rencontre les deux hommes dans le cadre d’une mission de médiation lancée par l’Union africaine. Mais le soir même, Alassane Ouattara forme un gouvernement dont Guillaume Soro est le Premier ministre.

- 7 décembre : Laurent Gbagbo procède à son tour à la nomination d'un gouvernement. Réunis en sommet extraordinaire au Nigeria, les chefs d'État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) excluent provisoirement la Côte d’Ivoire de l'organisation et apporte leur soutien à Alassane Ouattara.

France24.com : Quelle est l’atmosphère ce mardi à Abidjan ?

Pascal Airault : L’activité économique fonctionne au ralenti. Si les marchés commencent à être à nouveau achalandés, les fonctionnaires ne sont pas nombreux à se rendre au travail. Dans les rues, il y a peu de transports publics, notamment de taxis. Hier matin, les Abidjanais se sont précipités dans les banques pour pouvoir retirer leur argent, puis ils sont repartis chez eux en vitesse. Il faut pourtant que la vie économique reprenne. Les principales exportations, comme le cacao et le caoutchouc, souffrent de ce blocage qui peut avoir des effets dramatiques sur l’économie du pays.

Dans le pays, la tension est palpable. Les partisans des deux camps sont prêts à descendre dans la rue. Il y a eu des affrontements ces derniers jours dans certains quartiers d’Abidjan. On parle également du départ de certains habitants de l’ouest ivoirien vers le Liberia. Les organisations humanitaires présentent sur place sont inquiètes, mais pour l’instant on a évité le pire. La Côte d’Ivoire se trouve au bord du précipice, mais elle n’est pas encore tombée dedans.

France24.com : Sur le plan politique, une entente entre les deux candidats est-elle envisageable ?

Pascal Airault : À ce jour, l’hypothèse d’un gouvernement d’union nationale est hautement improbable. L’envoyé spécial de l’Union africaine, Thabo M’beki, a quitté le pays sur un constat de blocage entre les deux candidats. Alassane Ouattara a fait savoir que son élection n’était pas négociable. Il refuse d’appliquer au pays une solution à la kényane ou à la zimbabwéenne, avec un président flanqué d’un vice-président ou d’un Premier ministre d’opposition. Du côté du camp Gbagbo en revanche, on est prêt à davantage de concessions. On l’a déjà fait dans le passé.

France24.com : Se dirige-t-on vers une partition du pays ?

Pascal Airault : De fait, le pays est déjà coupé en deux. Le nord est toujours sous le contrôle des Forces nouvelles, la refonte de l’armée ayant été programmée pour la période post-électorale. En outre, il y a désormais deux présidents, deux Premiers ministres et deux armées.

France24.com : Quelles est la marge de manœuvre de la communauté internationale, au moment où certains Ivoiriens commencent à dénoncer une forme d’ingérence ?

Pascal Airault : La communauté internationale a, dans sa grande majorité, reconnu la victoire d’Alassane Ouattara. Mais que peut-elle faire de plus ? Les menaces de sanctions économiques, l’Union européenne en a déjà formulées. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ? Elle pourrait intervenir dès ce soir. Quant à la Cédéao [Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest] , elle se réunit ce mardi à Abuja, au Nigéria, pour tenter de trouver une solution à la crise. Mais si les pressions internationales se multiplient, elles n’ont pour l’instant pas permis de débloquer la situation.